logo

Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

L'ensemble des textes publiés sur ce site sont, hors citations et images, disponibles sous licence :
Creative Commons BY-ND 4.0




Une halte sur les chemins contemporains de Compostelle

 

Sur le chemin moderne d'Arles à Saint-Jacques-de-Compostelle, le prieuré de Saint-Michel-de-Grandmont est la dernière halte avant l'antique cité épiscopale de Lodève. Le monastère, particulièrement bien conservé, domine une contrée déserte propice à la solitude austère recherchée par les frères grandmontains. La route qui relie le prieuré à Lodève est une création du XVIIIe siècle. Le Prieur conventuel était seigneur des terres désertes entourant son prieuré pour préserver la spécificité de son ordre qui recherchait avant tout l'éloignement des hommes et du monde, la pauvreté absolue tant individuelle que collective et une vie entièrement vouée à la prière.

grandmont
Cette gravure de Laurens (XIXe siècle) montre la façade avant les transformations ultérieures. (nouvelle porte de l’église fin XIXe siècle, baies du rez-de-chaussée XXe siècle sous les fenêtres médiévales)

Fondée entre 1128 et 1189, la « celle » de Grandmont s'est établie auprès d'un petit sanctuaire dédié à l'Archange Saint-Michel (cité en 988 dans le Testament de saint Fucran évêque de Lodève) et objet d'un pèlerinage local. Alors que tous les monastères de l'Ordre sont consacrés à la Vierge, Grandmont de Lodève est le seul à porter le nom de Saint-Michel. Est-ce à saint Etienne ou à saint Michel que le fils de cette pèlerine du XIIe siècle doit sa résurrection ? En tout cas elle offrira au monastère une quantité de cire suffisante pour faire une statue. Jusqu'au XIVe siècle, les pèlerins étaient reçus sous un préau (porticum) qui bordait la façade nord de l'église. Le portail principal de celle-ci s'ouvrait du côté de cette galerie en bois. L'antique chapelle des pèlerins a été détruite lors de la construction du prieuré et l'église des religieux (interdite aux femmes) a été utilisée par les michelots. Vers 1331, Bérenger de Vailhauquès, abbé bénédictin de Nant (Aveyron), fît construire en lieu et place du préau incommode une chapelle nouvelle consacrée à l'Archange. Au-dessus de la porte de la chapelle, Bérenger fît placer une pierre de réemploi dont l'inscription en caractère roman du XIIe siècle commémore la dédicace d'une église en l'honneur de Saint-Michel : consecrata est haec aula XI kl junii in honore sci michaelis arcangeli. Cette chapelle a toujours gardé son indépendance vis-à-vis de l'Ordre grandmontain, le Prieur étant tenu de présenter le chapelain en titre à l'évêque de Lodève.

Hormis ce pèlerinage très anciennement institué, le prieuré n'était apparemment pas destiné à recevoir un grand nombre d'hôtes. On n'y trouve pas, comme dans tant d'autres monastères bénédictins, voire cisterciens, une de ces vastes hôtelleries composées de dortoirs, cuisines, caves et fours, le tout indépendamment de la clôture. A Grandmont, les solitaires s'en tenaient à une hospitalité minimale, réservée aux familiers du monastère, aux pauvres (mendiants) et aux religieux de passage ou en visite. On ne trouve pas de bâtiment spécifique pour cet usage et c'est avec précaution qu'il faut prendre les descriptions parlant de « logis pour les hôtes ou les pèlerins ». L'aile Ouest abritait traditionnellement les communs et autres locaux utilitaires: infirmerie, salle des convers, peut-être salle des hôtes. Les deux baies géminées romanes de l'étage, dont les arcs sont reçus par deux colonnettes aux chapiteaux ornés de feuillages frisés, éclaireraient plutôt le logis du Prieur que celui des hôtes, pièce qui s'appelait autrefois "chambre de l'évêque". Il est vrai que cette pièce est la seule à bénéficier du confort d'une cheminée romane cylindrique...

A Saint-Michel de Grandmont, la maladie du « Tout-Compostelle » a frappé, comme partout ailleurs et le touriste moderne est invité, faute de preuves évidentes, à voir sur les chapiteaux des coquilles à la place de feuillages, et à considérer la porte d'entrée comme une « porte des pèlerins », manifestant qu’il se trouve sur une station sur la route de Compostelle. Tout ceci au détriment du très ancien culte à saint Michel qui a été célébré dans ces lieux pendant des siècles !

Cette apparente méprise n'est pas sans en rappeler une autre, à l'encontre d'un autre lieu tout proche, le village d'Usclas-du-Bosc. Celui-ci possède un château du XVIIe siècle dont la porte d'entrée est timbrée de la gourde et de la coquille (symboles des pèlerins) et une croix de chemin, en forme de croix de Malte, datée de 1692. Il n’en faut pas davantage pour supposer qu'une Commanderie hospitalière était établie ici, avec pour activité principale l'accueil des pèlerins de... Compostelle. Làs ! Les archives hospitalières des commanderies alentour (Pézenas, Nébian, Saint-Eulalie-de-Cernon) ne conservent aucune trace d'Usclas-du-Bosc à ce jour. Selon mes renseignements et le concours amical de madame Hélène Débax, une confusion a pu s'établir entre Usclas-du-Bosc et Usclas d'Hérault, lequel était effectivement sous la dépendance de la Commanderie de Pézenas. Par ailleurs, nous savons que la seigneurie d'Usclas-du-Bosc appartenait depuis le début du XVIIe siècle, à la famille Romieu d'Usclas, (une branche des Romieu de Provence établie à Montpellier), spécialisée dans le droit. Romieu signifie « pèlerin » en occitan, à l'origine un pèlerin revenant de Rome. Toutes les armoiries de cette famille portent « d'or à une gibecière, ou une bourse, ou une gourde de pèlerin, ou un écusson d'azur, chargé ou surmonté d'une coquille d'argent ». Nous sommes donc ici en présence d'une représentation des armes parlantes de la famille de Romieu, qui sont aussi les symboles des pèlerins. Quant à la croix « de Malte », tournée vers l'Ouest, donc vers Grandmont, serait-elle un souvenir de Louis de Clermont du Bosc, prieur et seigneur de Saint-Michel-de-Grandmont, reçu chevalier de Malte en 1667 ? Celui-ci introduisit à Grandmont la réforme de l'étroite observance.

Le prieuré de Grandmont fût supprimé en 1772 (il ne comportait plus que deux moines). Les biens du monastère furent attribués au Chapitre cathédral de Lodève qui les garda jusqu'en 1791. Ce lieu magnifique est aujourd’hui ouvert au public, mais on ne peut que souhaiter une plus grande exigence dans l'information historique dispensée aux visiteurs.

Famille de Romieu:

  1. Jean de Romieu, seigneur d'Usclas, docteur en droit, avocat, juge de Lodève.
    Il avait épousé Marguerite Soubeyran en 1617.

  2. Jean-Hyppolite de Romieu (fils du précédent), seigneur d'Usclas, docteur en droit, avocat.
    Il avait épousé Marguerite Des Andrieux en 1650.

  3. Grégoire-Joseph Romieu d'Usclas, (fils du précédent), seigneur d'Usclas, conseiller du Roi.
    Il avait épousé Hélène de Fabre de Madières de Latude en 1710 à Lodève.
    Il offre la cloche de l'église en 1713.
    Jean de Romieu avait racheté la seigneurie d'Usclas à Robert II Bernard.
    Robert Ier Bernard avait acquis cette seigneurie de l'évêque de Lodève en 1577.

Les armoiries de Grégoire-Joseph étaient : « d'or à un écusson en abîme d'azur chargé d'une coquille d'argent soutenu par une corde de sable à 7 houppes de même ».

Il n'est pas impossible que Jean de Romieu soit à l'origine de la reconstruction du château. Dans ce cas ce seraient ses armoiries qui y sont représentées.

D'après l'Alphabet et figures de tous les termes du Blason de L.A. Duhoux d' Argicourt, Paris 1899, la coquille est dite « de Saint-Jacques » lorsqu'elle est grande (plate et en éventail) et « de Saint-Michel » lorsqu'elle est petite (et ronde), comme les coquilles du collier de l'Ordre de Saint-Michel. Quant à la bourse ou gibecière de pèlerin telle qu'elle est figurée dans le blasonnement générique de la famille Romieu (d'Arles) : « d'or à la gibecière chargée d'une coquille d'argent », le Dictionnaire Encyclopédique de la noblesse de France de Nicolas Viton de Saint-Allais, Paris 1816, la définit ainsi : « Bourse de cuir que portaient les pèlerins dans leurs voyages au Levant. »

Francis Moreau,
Lodève, février 2008

Les photos sont de Bernard Derrieu, Charte Lodévois-Larzac,
http://charte.lodevoislarzac.fr/

Sommaire général - Retour en haut de page

Sources:


G. Alzieu : Les églises de l'ancien diocèse de Lodève au Moyen-Age, P. Clerc, Montpellier 1998.
E. Appolis : Le diocèse civil de Lodève, Imp. Coop. Sud-Ouest, Albi 1951.
A.-R. Carcenac : Les Templiers du Larzac, Lacour, Nîmes 1994.
Collectif Un diocèse Languedocien : Lodève Saint-Fulcran, Ed. Maury, Millau 1975.
M.-H. Fisquet : La France Pontificale, Dioc. Montpellier-Lodève-Béziers, Etienne Repos, Paris.
Ch. D'Hozier : Armorial Général, Généralité de Toulouse.
L. Laroque : Armorial de la Noblesse du Languedoc, Tomes 1 et 2, Ed. Félix Séguin, Paris 1860.
E. Martin : Histoire de la ville de Lodève, Laffitte-Reprints, Marseille 1979.
E. Martin : Cartulaire de la ville de Lodève, Lacour, Nîmes 1998. Martin E. Chronique et Généalogie des Guillem seigneurs de Clermont, Lacour, Nîmes 2005.
Henri Vidal : Saint Fulcran évêque de Lodève, Sté Archéologique de Montp., Montpellier 1999.
A.-D. de l'Hérault : papiers Bérard, 1E1641.
A.-C. de Lodève : BMS Saint-Fulcran, année 1710.
Site web http://arnaud.bosc.free.fr/, Saint Félix de Sorgues. J.C. De Romieu (1672-1745).
Site web http://www.lodeve.com/, Prieuré Saint-Michel-de-Grandmont.
Site web http://w3.framespa.univ-tlse2.fr/malte/, Doc. Comm. Pézenas, présentés par H.Débax.
Site web http://www.patrimoine-de-france.org/, Usclas-du-Bosc 34, cloche.