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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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Le pays de Gâtine au XVIIIe siècle

 

Située au cœur du Poitou, La Gâtine de Parthenay occupe la partie centrale du département des Deux-Sèvres actuel, débordant sur la Vienne à l'est et la Vendée à l'ouest. Sous l'Ancien Régime la Gâtine (du vieux français gast, gaster, terre gâtée ou pauvre) ignorait la frontière actuelle entre les Deux-Sèvres et la Vendée. Depuis J.A.Cavoleau [1] et Alix Sauzeau [2], la partie vendéenne de la Gâtine est le plus souvent appelée Bocage. Il est vrai que les paysages du Bocage et de la Gâtine sont, comme la géologie, tout à fait ressemblants. La Gâtine était autrefois le terroir des herbages et des landes, des champs de seigle et d'avoine. L'habitat dispersé y est toujours la norme, dans un paysage « montueux » et « bossu », au relief coupé par d'innombrables ruisseaux. Avant l'arrivée de la charrue Dombasle vers 1860, qui permit les labours profonds, il n'y avait pas un cinquième des terres qui fut cultivé. Pour les hommes du XVIIIe siècle, il s'agissait là d'un mauvais pays, disgracié par la nature, aux terres ingrates et stériles, pauvre, couvert d'ajoncs et de plantes nuisibles, ne fournissant que des grains médiocres qui suffisaient à peine pour nourrir les habitants pendant cinq mois de l'année.

Un document nous éclaire sur l'économie agricole de la région, à la fin du XVIIIe siècle. Les registres du notaire de La Châtaigneraie, Esprit Samuel Soullard, conservés aux Archives de la Vendée [3] , contiennent en effet un acte rédigé au mois de juillet 1776, par lequel un grand nombre de notables du pays de La Châtaigneraie entendaient protester auprès de l'Intendant séant à Poitiers. Ils y dénoncaient les augmentations successives et arbitraires des impositions qui se succèdaient depuis trois ans. Les dernières années du règne de Louis XV avaient bien vu un redressement spectaculaire des finances de la monarchie. Mais les efforts nécessaires à ce redressement, conduit par l'abbé Terray entre 1769 et 1774, avaient valu à celui-ci une très grande impopularité. Louis XVI arrivé au pouvoir avait confié les finances du royaume à Turgot (1774), mais celui-ci venait d'être renvoyé (12 mai 1776). Rien n'avait donc changé et les esprits bourgeois s'échauffaient.

Le cadre territorial

Le document énumère quatre parties pour décrire le Poitou: la Plaine plus ou moins fertile « car il y a bonnes plaines et il y en a de sèches et arides », le Marais « défraiché », le Bocage et la Gâtine.

La Gâtine, décrite dans cet acte, regroupe presque exclusivement (en dehors de Parthenay citée comme ville capitale et « plusieurs autres paroisses ») trente-trois communes ayant pour épicentre le gros bourg de La Châtaigneraie, siège du bailliage de Vouvant depuis 1698. Sept lieues séparent La Châtaigneraie de Secondigny dans les Deux-Sèvres (limite Est), et six lieues et demie la sépare de Sigournais en Vendée (limite Ouest). Les limites Nord (Saint-Marsault) et Sud (Vouvant) sont éloignées de sept lieues et demie l'une de l'autre. Pour l'essentiel, le pays ainsi délimité sous le nom de « Gâtine » correspond à ce qu'il est convenu de nommer aujourd'hui « le Bocage de La Châtaigneraie » [4] .

Les signataires, le cadre social

Ils sont une trentaine à avoir signer ce texte, même si tous ne sont pas cités nommément. On y trouve des membres éminents de la noblesse de robe dont Jean François Joseph Moreau, lieutenant général civil et criminel au siège royal de Vouvant, Henry Modeste Briand Le Bœuf, chevalier de Saint-Mars, Alexis René Marianne Moreau, chevalier du Plessis, Pierre Gabriel de Rechignevoisin de Guron, Pierre Jacques Julliot, seigneur du Fougeray.

A leurs côtés ont signé des avocats, des marchands, des syndics de paroisse, des bourgeois, un ancien procureur au siège de Vouvant et Étienne Marie Giraud, procureur près le marquisat d'Asnière et le bailliage de Vouvant, futur maire révolutionnaire de La Châtaigneraie.

Tous sont propriétaires de métairies en Gâtine et se désolent du poids toujours croissant des impositions [5] .

Détail de la carte du Poictou
Poictou, Détail d'une carte de Pierre Roger copiée sur la version qu'en publia Ortelius dans l'édition de 1579 du Theatrum, Bibliothèque nationale de France

Le cadre économique

Pour les pétitionnaires dans le « pays de gastine » les terres sont « couvertes de bruyères, landes, ageons, genêts, ronces et épines ». les meilleures terres sont d'ailleurs couvertes de genêts et on y ensemence que du seigle. Elles ne reçoivent que trois « emblaisons » en suivant, après quoi on les laisse reposer pendant huit à dix ans. Quant aux autres terres de moindre valeur elles ne s'emblavent que tous les quinze ans, vingt, vingt cinq ou trente ans. On y ensemence du seigle, de l'avoine ou du méteil (seigle mêlé d'avoine). On y fait également un peu de blé noir (sarrasin). Quant aux autres terres elles ne s'emblavent jamais « étant trop aqueuses et pouries ».

Les labours

Ils font aussi remarquer que « tout ce pays est situé en coteaux, ce qui fait que le labour en est très difficile, et lorsque les pluies sont abondantes, et tombent avec force, les eaux entrainent, non seullement les semences et l'engrais, mais même la terre préparée à la recevoir, et toutes les parties qui sont sur le penchant ne forment plus que des ravins ».

Quant à la culture de ces terres, elle est pénible et dispendieuse. Avant de les labourer il faut « dégâter, c'est à dire arracher les genêts, les ageons, les ronces, les épines et autres plantes qui y laissent des racines ». Ce premier labour ne nécessite pas moins de huit bœufs attelés à une charrue. Parfois le soc casse et retarde les opérations qu'il faut réitérer plusieurs fois afin de mettre la terre en état de recevoir la semence.

Un autre souci est d'y conduire le fumier et les engrais, le pays « étant en coteaux les charrois en sont d'autant plus pénibles ». « Les chemins y sont étroits et montueux et remplis de rochers, de bourbiers et de fondrières, on peut juger delà du temps et de la dépense pour toutes les voitures quelconques ».

Ces difficultés accumulées annoncent un pays peu productif. Le revenu des métairies étant très médiocre, on y rencontre que peu de gens aisés. Presque toutes exploitées à moitié-fruits, on trouve peu de colons pour répondre des prix de ferme en argent. Ils ne sont pas propriétaires de leurs bestiaux. En outre, « le métayer étant chargé de payer la taille et les impositions accessoires, il a pour lui les branches des arbres tétards, les genêts, les ageons, les bourrées et autres productions. Il jouit seul des jardins et arbres fruitiers dans lesquels le propriétaire ne prend rien ».

L'endettement

Dans ce contexte, le métayer ne recueille le blé que pour la nourriture de sa famille pendant la moitié de l'année. Son propriétaire se trouve donc souvent obligé de lui faire des avances, en sorte qu'arrivé à la fin du bail, le métayer se trouve considérablement endetté vis à vis de son maître.

C'est le tragique cycle de l'endettement qui peut conduire le métayer à la ruine et à la misère. Certains, prévoyant leur expulsion des métairies les dévastent entièrement et s'en approprient tous les fruits, ce qui cause une perte ruineuse pour le propriétaire. Néanmoins de nombreux propriétaires choisissent d'entrer en commisération pour leurs colons, leur font des remises et leur permettent de continuer l'exploitation des métairies et d'en assurer la transmission à leurs enfants.

La communauté

La culture des terres étant aussi difficile et dispendieuse nécessite beaucoup de monde pour labourer les métairies. On y compte quatre ou cinq hommes et autant de femmes. Certains paysans préfèrent s'associer et constituer une communauté de tous leurs effets, gains et travaux. C'est ce qu'on appelle une « communauté rustique ».

Les Bestiaux

Terre d'élevage, on peut supposer que les bestiaux soient une source de profit assez considérable pour les agriculteurs de Gâtine. Faux ! écrivent les propriétaires des métairies. Les bestiaux n'y viennent point grands, le fourrage étant communément dur et aigre. Les bœufs y sont continuellement employés à la culture ou bien loués pour des charrois. Ces occupations répétées « ruinent les bœufs et les mettent sur les dents ». Lorsqu'une paire de bœufs atteint l'âge de six à sept ans, elle est retenue à l'étable pour y être engraissée pendant trois mois puis vendue. Le fermier la remplace par des bœufs de quatre à cinq ans « ce qui lui coutera deux ou trois pistoles de moins que celle qu'il a vendu ». Il vendra aussi un ou deux veaux « et voilà tout le profit ». Mais il peut arriver aussi des accidents: un bœuf mort ou qui s'encorne, une maladie, « il faut le remplacer et tout le profit s'en va ».

Seuls les fermiers des grasses terres peuvent réellement profiter de ce commerce. Ils recueillent de grandes quantités de fourrage et peuvent acquérir de grands bœufs. Ils n'ont pas de peine à les nourrir. Ils les soignent, les engraissent et élèvent à leurs côtés une grande quantité de veaux qui seront vendus à l'âge de deux ans.

Les impositions

Il est fait le constat d'une dégradation très nette de la situation depuis douze ou quinze ans. Alors qu'on voyait les gens de la Plaine venir en Gâtine pour se ravitailler en seigle, c'est l'inverse qui se produit désormais. « Les gens de Gâtine sont obligés d'avoir recours à la plaine où ils vont chercher de la baillargue [6] , sans quoy ils ne trouveraient pas dans le pays de blé suffisamment pour les faire subsister ».

Dans cette situation les signataires déplorent les augmentations arbitraires sur les vingtièmes [7], augmentations qui peuvent monter jusqu'à un quart, un tiers et même de moitié, alors que les revenus des domaines sont fortement diminués. « C'est exercer une sorte de tirannie, et faire payer trois ou quatre vingtièmes au lieu de deux qui sont seulement dû ».

« Telle est la position de ceux qui possèdent des biens dans le pays de Gâtine que l'on peut dire le plus mauvais de la province et ou il y a le moins de ressources » concluent les protestataires.

A la veille de la Révolution

Le Mémoire de la Noblesse de la Gâtine et du Bocage rédigé au mois d'octobre 1788 par l'ancien officier d'Artillerie Jean Philippe César Desprez-Montpezat (1728-1793) [8] , et adressé au ministre Necker fait largement écho à la protestation notariée rédigée douze années plus tôt. Il y est fait une description quasi-identique de la situation géographique, économique et sociale d'une région qui va devenir bientôt un des bastions du soulèvement vendéen.

« La partie de la Gâtine et du Bocage que nous habitons est un pays pauvre et sans débouchés, sans manufactures, sans population suffisante pour le défrichement et l'agriculture, sans ressources en un mot par la difficulté des communications; rempli de fondrières, montueux, couvert d'ajoncs et de plantes nuisibles, qui arrêtent l'action vivifiante du soleil, entraînent des frais et des avances pour le peu de terres à mettre en valeur et pour leur clôture; ne fournissant que des grains médiocres, tels que le seigle, l'avoine, le blé sarrasin, dont la récolte n'équivaut jamais aux déboursés qu'elle exige; peuplé d'hommes rabougris, énervés, sans vigueur et sans courage conséquemment peu laborieux (les événements de 1793 se chargeront de démentir ce jugement empreint d'orgueil nobiliaire !), devant leur débilité à la mauvaise nourriture dont ils se substantent; encore leurs grains suffisent-ils à peine à les nourrir pendant cinq mois de l'année; partout éloignés des grandes routes et des rivières navigables... Cependant (qui le croirait sans être indigné !) l'on a eu jusqu'ici l'injustice de faire contribuer aux frais énormes des routes... dont elle ne saurait jamais profiter... on ne s'en est occupé jusqu'ici que pour la pressurer par des exactions intolérables... Et l'on voudrait qu'aujourd'hui ce misérable canton, qui n'offre plus aux regard de l'homme juste qu'un squelette desséché par le vampirisme bursal se souscrivit encore pour des chemins vicinaux ! lui dont la récolte de la présente année ne suffit pas à la subsistance de ses habitants pour trois mois ! »

Cette description de la Gâtine serait déprimante s'il elle ne relevait que d'un regard impartial. Mais ces documents étant par nature entachés du pessimisme inhérent aux plaintes fiscales, les maux et les insuffisances réelles du pays y sont considérablement développés. Un demi-siècle après, J-A Cavoleau tempère sérieusement les choses, « En un mot, écrit-il, le Bocage, malgré l'aspect affligeant de ses landes stériles; malgré ses chemins fangeux... est sans contredit la partie la plus agréable du département (la Vendée), celle que doit habiter de préférence l'homme méditatif et studieux qui veut contempler la nature dans le silence et le recueillement, et qui se plaît à l'admirer dans la richesse et la variété de ses productions. » [9]

Francis Moreau
2019

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Notes :


[1] J-A Cavoleau, "Statistique ou Description Générale du département de la Vendée", Dumoulin libraire, Paris 1844, Laffitte Reprints, Marseille 1978. Voir aussi la liste des paroisses de la Gâtine dans l'élection de Fontenay-le-Comte publiée vers 1730, in "État du Poitou Louis XIV", rapports et mémoires annotés et publiés par Charles Dugast-Matifeux, chez Pierre Robuchon, Fontenay-le-Comte, 1865, p.563.
[2] Alix Sauzeau, "Agriculture du Poitou", Robin et Cie libraires, Niort 1844.
[3] ADV, Minutes de Esprit Samuel Soulard (1772-1790), 3E57/221-5 (1772-1776), acte du 15 juillet 1776.
[4] Communes dont le nom est cité: Parthenay, Secondigny, Vernoux-en-Gâtine, La Chapelle-Seguin, l'Absie, Le Beugnon, La Chapelle-Thireuil, Le Bussau, Marillet, Puy-de-Serre, Saint-Maurice-des-Noues, Loge-Fougereuse, Saint-Hilaire-de-Voust, La Chapelle-aux-Lys, Saint-Paul-en-Gâtine, le Breuil-Barret; Saint-Etienne-sous-Chantemerle, Les Moustiers-sous-Chantemerle, Saint-Marsault, Saint-Pierre-du-Chemin, La Tardière, Menomblet, Réaumur, La Châtaigneraie, Antigny, Vouvant, Saint-Maurice-le-Girard, Cheffois, Mouilleron, Sainte-Gemme-des-Bruyères, Le Tallud, Chavagne-les-Redoux, Saint-Germain-l'Aiguiller, Sigournais. On peut aussi se reporter aux vingt-six paroisses de Gâtine comprises dans l'Élection de Fontenay-le-Comte, "État du Poitou sous Louis XIV etc..." par Charles Colbert de Croissy, textes publiés par Charles Dugast-Matifeux, Pierre Robuchon, Fontenay-le-Comte, 1865, page 563.
[5] Les signataires: Jean François Joseph MOREAU de la GRANGE; Etienne FLEURY de BEAUREGARD; Henri Modeste Briand LE BŒUF; Alexis René Marianne MOREAU DU PLESSIS; Pierre Gabriel de RECHIGNEVOISIN DE GURON sgr de La Boursière; Philippe François GUESDON DE LA POUPARDIÈRE, avocat; Pierre Jacques JULLIOT du FOUGERAY; Louis VENEAU, marchand syndic d'Antigny; Jean-Baptiste François BRUZON, de Saint-Maurice des Noues; Pierre MENARD, marchand de Saint Maurice le Girard; Noël Mathurin GALLOT, bourgeois de Saint-Maurice le Girard; Charles FLEURY DU PLESSIS, bourgeois de Sigournais; Aimé Marie GERBAUD, fermier à Appelvoisin; Mathurin SOULLARD, syndic de Saint-Paul en Gâtine; René GUITTET, huissier à Mouilleron; Louis CACAULT, marchand à Saint-Paul; Pierre CHAMBILLAUD, notaire à Puybelliard; Marc JOFFRION, avocat au Breuil-Barret; François METAYER syndic de Mouilleron; Alexandre RIBOULLEAU, marchand au Breuil-Barret; Samuel GARNIER, ancien Procureur à La Châtaigneraie; Étienne Marie GIRAUD, Procureur à La Châtaigneraie; R.COUTURIER; René FILLUZEAU; GABARD; Louis COYAUD, avocat; CROUIN.
[6] Espèce d'orge d'été.
[7] Impôt direct touchant l'ensemble de la population (tiers-état, nobles et clergé) dont le montant correspond à 5 % (1/20) des revenus.
[8] Charles-Louis Chassin, La Préparation de la Guerre de Vendée 1789-1793, tome 1, Paris 1892,p.12-13.
[9] Statistique de la Vendée, p.30.