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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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Les évêques italiens à Lodève au XVIe siècle

 

De nombreuses raisons contribuèrent à l'installation d'évêques italiens sur le siège épiscopal de Lodève. La politique italienne de Charles VIII et de Louis XII les contraignit à distribuer évêchés et abbayes de France aux péninsulaires afin de s'assurer leur soutien. François Ier quant à lui combla les italiens par sympathie et admiration. Catherine de Médicis protégea tout naturellement ses compatriotes. Sous Charles IX et Henri III, les banquiers italiens tenaient en main les finances du pays et prenaient les revenus ecclésiastiques pour gages des sommes considérables qu'ils avançaient au roi.

Plusieurs diocèses du Midi sont alors tenus solidement par le clergé italien. Durant plus de deux siècles, le siège épiscopal de Béziers est entre ses mains. Les évêques se nomment Strozzi, Médicis, Bonzi. Le diocèse de Saint-Pons peut compter sur un Marino Grimani et un Alexandre Farnèse, futur pape sous le nom de Paul III. Les abbayes sont également sous la coupe italienne, en l'occurrence celle des Bonzi, à Saint-Sauveur de Lodève et à Saint-Guilhem-du-Désert. Un tiers des bénéfices du royaume est alors tenu par eux. Le népotisme de la haute finance, l'influence des grandes familles romaines seront déterminants dans la préférence donnée par les rois au clergé italien. Même les artistes et littérateurs obtinrent des pensions assignées sur des bénéfices.

Dans sa grande majorité, ce clergé est non-résident, ce réservant de nommer des administrateurs, parfois italiens eux-aussi (tel ce mystérieux Mr de Boria, vicaire général de Dominique du Gabre en 1555, son frère ou un parent était Conseiller à la Cour de Béziers), pour gérer les affaires temporelles de leurs diocèses, de leurs abbayes ou de leurs cures. Mais il arrive aussi que des prélats fassent venir à leurs cours épiscopales en France des artistes, peintres, architectes, musiciens, qui contribuent à embellir palais et églises et à introduire ainsi dans nos contrées le goût italien de la Renaissance. A l'inverse, Vincent Raymond, originaire du lodévois, sera envoyé à Rome vers 1520 pour y exercer ses talents de miniaturiste et d'enlumineur. Agrégé de la Congrégation du Panthéon, il est miniatore delli libri délia capella en 1535 puis nommé Enlumineur papal par le pape Paul III le 15 mai 1549. On lui doit notamment le Psautier du pape Paul III, réalisé en 1542.

Giovanni Matteo Giberti (1524-1528)

Giovanni Matteo Giberti

Le premier prélat italien de Lodève succède à René Dupuy, mort subitement à la Trivalle sur le Larzac le 4 juillet 1524. Giovanni Matteo Giberti est Dataire Pontifical lorsqu'il est nommé sur le siège de Lodève à la fin de 1524. Presque en même temps il est nommé évêque de Vérone en Italie et c'est là qu'il choisit sa résidence. C'est un évêque austère et pieux, qui a rempli de nombreuses missions pour les papes Léon X et Clément VII. Respectueux de son diocèse, il y rétablit la discipline du clergé, encourage la prédication, multiplie les écoles et les œuvres de charité. Il sera même un modèle pour saint Charles de Borromée qui établit les mêmes ordonnances que lui dans son propre diocèse. Scrupuleux, Giberti renonce à son diocèse de Lodève pour mieux se consacrer à celui de Vérone, et résigne sa charge à la fin de 1527.

Lorenzo Toscano (1528-1537)

Il est pourvu du siège le 31 janvier 1528. Originaire de Milan, Toscano est un collaborateur apprécié de Gianmatteo Giberti et fait partie d'un petit cercle de réformateurs dirigé par l'évêque de Bayeux, Lodovico Canossa. Ancien vicaire Général de Cahors (1524-1528), c'est le type même de l'évêque humaniste et diplomate. En 1525, alors que François Ier est prisonnier en Espagne, il est l'envoyé secret de la Régente de France, Louise de Savoie, auprès du Duc de Milan. Il prit possession de son siège par l'intermédiaire d'un procureur et n'eut probablement jamais l'occasion de venir à Lodève. A sa mort, survenue à l'automne 1537, son neveu, le poète Gianmatteo Toscano rédigea son épitaphe :

Si virtus pietasque mori, ac prudentia possent, Debuerant, Laurens, te moriente, mori.

Si la vertu, la piété et la prudence pouvaient mourir, elles auraient dû, ô Laurent, mourir avec toi.

Lelio dell'Anguillara de Ceri (1537-1546)

Il est nommé le 15 octobre 1537. D'une célèbre famille de condottieres, Lelio de Ceri fût le dernier seigneur de Bieda (Blera) dans le Latium du nord. Son nom traduit en langue vulgaire dans un document lodévois de 1541 : Hely de Cerc et de Angularia est sans équivoque quant à son origine. Il est aussi appelé Laelius Ursin Cerchi ou Lalius Ursinus. Il est né vers 1510 du second mariage de Lorenzo degli Anguillara avec Francesca di Giangiordano Orsini. Son demi-frère, Giampaolo dell'Anguillara da Ceri, s'était mis au service de François Ier à partir de 1535. Résident à Rome, il se retire ensuite dans son palais de Bassano. Il était représenté à Lodève par son Vicaire Général Pierre de Barrault, futur évêque. Il résigna sa charge en 1546 et meurt en 1572.

Guido-Ascanio Sforza (1546-1547)

Guido-Ascanio Sforza

Il est nommé à l'évêché de Lodève le 7 juin 1546. Agé de 28 ans, il était déjà cardinal de Santa Fiore (1534) et administrateur apostolique de Parme (1535). Camerlingue dès 1537, c'était le fils de Bosio Sforza et de Costanza Farnese, la fille naturelle du pape Paul III. Amateur éclairé d'art et de musique, il fonde en 1545 la chapelle musicale Liberiana de la basilique Sainte-Marie-Majeure et construisit dans cette basilique la chapelle de l'Assomption sur les plans de Michel-Ange. Il ne parut point à Lodève et l'évêché se trouvait toujours géré par Pierre de Barrault.

Bernard Del Bene (1560-1561)

Bernard Del Bene ou d'Elbène succède au gascon Dominique du Gabre (1547-1558) ancien Trésorier des Armées à Ferrare. Il est né à Florence dans une célèbre famille de banquiers fuorusciti. Passé en France avec sa famille qui s'installe à Lyon à la suite d'un complot contre les Medicis, il est d'abord nommé archidiacre d'Auch. Evêque de Lodève en 1560, il édicte un règlement sur l'époque des vendanges, la cueillette des fruits, la marque des draps et la taxe du pain, daté du 10 aout 1560. Il est transféré à Nîmes en 1561 par un échange de sièges avec Claude Briçonnet. Il participe activement au concile de Trente chargé de la réforme de l'Eglise (1545-1563). Victime de la Michelade à Nîmes, les 29 et 30 septembre 1567 (plus de 80 catholiques seront massacrés par des émeutiers protestants), il est contraint de se réfugier à Arles et y meurt le 27 mars 1568.

Alfonso Vercelli (1570-1573)

Prêtre du diocèse de Bologne, premier aumônier de Catherine de Médicis, il est abbé de Souillac et succède à l'évêque Pierre de Barrault le 10 février 1570. Il ne paraitra jamais à Lodève autrement que par procureur et est très vite nommé ambassadeur de France auprès de l'empereur Maximilien II. C'est sous son épiscopat que le 4 juillet 1573, les protestants s'emparèrent de la ville de Lodève et y profanèrent les reliques de saint Fulcran. Alphonse Vercelli mourut à Avignon le 30 septembre de la même année.

René de Birague (1573-1578)

René de Birague

Renato naît à Milan le 2 février 1507, de Giangiacomo Galeazzo da Birago et de Anna Trivulzio. Il sera naturalisé français en 1565. Marié à Valentine Balbiani, il mène d'abord une brillante carrière civile. Il est premier président du Parlement de Turin (Piémont français) de 1543 à 1559. Il devient Garde des sceaux en 1571, Chancelier de France en 1573, et passe pour être l'un des inspirateurs du massacre de la Saint-Barthélémy (24 août 1572). Après la mort de sa femme (1572), il entre dans les ordres et est nommé évêque de Lodève le 12 octobre 1573. Il est nommé cardinal en 1578 et se démet de l'évêché de Lodève. Il meurt en 1583 à Paris, on peut voir son monument funéraire et celui de son épouse, réalisés par Germain Pilon, au musée du Louvre.

Il est inutile de citer leur nom...

... Ecrit l'abbé Gérard Alzieu dans une notice consacrée au diocèse de Lodève et ses évêques. Sans doute ne font-ils pas toujours honneur à l'Eglise ces évêques nommés par complaisance, souvent intéressés par les seuls revenus, non-résidents de surcroît. Certains cependant ne manquent pas de qualités spirituelles, la plupart sont d'excellents diplomates, tous sont de fervents humanistes.

Par l'intermédiaire de procureurs et de vicaires généraux avisés, le diocèse semble pourtant avoir été correctement géré, tant au spirituel qu'au temporel. L'un de ces seconds deviendra même évêque, alors qu'un ancien évêque se muera en seigneur temporel et tentera sans succès de résister aux entreprises huguenotes (Claude Briçonnet, év. de 1561 à 1566).

Malgré tout, durant ce demi-siècle d'épiscopat italien, la ville de Lodève restera une vieille cité médiévale, et hormis les deux fenêtres de la sacristie (fin XVIe), elle ne verra pas le souffle de la Renaissance passer sur elle.

Les évêques sont trop loin de leur diocèse et accaparés par d'autres charges religieuses ou civiles. Leurs représentants n'ont ni leur envergure, ni leur culture. La bourgeoisie locale, vite transformée en aristocratie terrienne par l'acquisition des fiefs de l'évêché, n'a d'autre vision que ses intérêts immédiats. Enfin, les guerres religieuses empêcheront tout développement économique, culturel et artistique.

C'est d'une cité endormie qu'héritera l'intrépide Christophe de Lestang (1580-1604), endormie avec sa cathédrale en ruine, pillée et ravagée en 1573.

Il faudra attendre le réveil sous la houlette de Jean de Plantavit de la Pause (1625-1648), pour voir les églises restaurées, les offices célébrés avec dignité, l'instruction pour tous rétablit.

L'histoire a cette fois fait mentir le mot de Tacite : Major e longinquo reverentia ! L'éloignement augmente le prestige !

Francis Moreau
2009


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Sources principales


de Buzon Christine, Jean-Eudes Girot : Jean Dorat, poète humaniste de la Renaissance-La Religion de Jean Dorat par Max Engammare, Droz genève 2007
Fisquet M.H. : La France Pontificale, Diocèse de Lodève
Martin Ernest : Histoire de la ville de Lodève, Montpellier 1900
Martin Ernest : Cartulaire de Lodève, Montpellier 1920
Mathorez Jules : Le Clergé Italien en France au XVIe siècle, Revue d'Histoire de l'Eglise de France, vol.8, n°41,1992
Mémoires : Mémoires de l'Académie Impériale de Savoie, seconde série, tome VI, Chambéry 1864
Mercadier Jean : Un diocèse Languedocien Lodève Saint-Fulcran, Millau 1975
Nativel Colette, Jacques Chomarat : Centuriae Latinae : cent une figures humanistes de la Renaissance, Droz Genève 1997
Renaudet Augustin : Erasme et l'Italie, Droz Genève 1998
Sandret Louis : Armorial des Evêques des cinq diocèses formant aujourd'hui la circonscriprion du diocèse de Montpellier, Revue Nobiliaire Historique et Biographique IV, nouvelle série Tome 2, Paris 1866
Simonde de Sismondi Jean-Charles-Léonard : Histoire des Républiques Italiennes du Moyen-Age, Tome 15, Paris 1818