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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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L'enclos canonial de Lodève et ses fortifications

 

L'institution canoniale est effective à Lodève avant 975, peut-être même est-elle antérieure à l'arrivée de l'évêque Fulcran en 949. Celui-ci va appliquer aux chanoines de son église la réforme de Benoît d'Aniane, qui met en place un nouveau statut des clercs séculiers[1] . Il les installe près de la cathédrale et crée un enclos canonial fermé et doté de portes surveillées par un portier qui remet le soir les clés au prévôt (prepositus), préposé par l'évêque à la direction de la « canonica » (la communauté des chanoines).

Fulcran veillera attentivement à l'organisation temporelle du Chapitre, afin que ses chanoines puissent se consacrer sans tracas excessifs au service de la cathédrale. En effet, les chanoines ne doivent pas se mêler aux laïcs et la vie en communauté est alors une exigence impérieuse. Chargés de l'animation liturgique de la cathédrale, il leur revient de célébrer les messes journalières et d'assurer au chœur les heures canoniales récitées ou chantées[2] .

Au temps de Fulcran l'espace occupé par la maison des chanoines ne devait pas être très différent d'aujourd'hui. Il s'étendait a l'Est, depuis le chevet de la cathédrale jusqu'à l'ancienne rue du Terron (Le long du Boulevard Gambetta jusqu'à la rue Joseph Galtier). A l'Ouest, depuis la Porte du Chapitre, l'enclos rejoignait la cathédrale romane au niveau de l'actuel clocher de Saint-Fulcran. Au Sud il bordait la rue Joseph Galtier. Au Nord il était délimité par la cathédrale. Outre les communs (cuisine, cellier, grenier, chauffoir) établis du côté du Terron, l'enclos capitulaire (claustrum) comportait une cour avec un puits, un réfectoire (refectorium) et un dortoir (dormitorium), ces deux fonctions réunies dans un ou deux bâtiments formant la chanoinie (canonica, canourgue en occitan). Cet ensemble se trouvait complété à l'Ouest par la maison de la Maîtrise (capiscolat), elle aussi pourvue d'un puits, où logeaient les enfants de chœur qui étudiaient le chant et la musique. Le cloître et la salle capitulaire que nous connaissons n’apparaîtront que bien plus tard aux XIVe et XVe siècles.

Des temps troublés

Façade de la sacristie
Cathédrale Saint-Fulcran, façade Est de l'enclos canonial

Les XIIe et XIIIe siècles, furent pour Lodève une période de troubles et d'incertitudes, le besoin se fit sentir assez tôt de renforcer la sûreté de l'enclos par la construction d'une fortification.

Les évêques de Lodève, traditionnellement soumis à l'avouerie (protection) des comtes de Rodez, en vinrent à ne plus supporter cette sujétion. Les comtes s'ingéraient dans les élections épiscopales et considéraient même le palais de l'évêque comme une de leurs demeures. Le conflit prenait parfois une tournure aiguë, les vassaux du comte malmenaient, trop souvent avec violence, les sujets de l'évêque. Gaucelin de Montpeyroux entrepris la reconstruction du palais épiscopal et y adjoignit une tour, peut-être vestige de la tour de la cathédrale préromane[3] . Cette construction devait déclencher la colère du comte de Rodez. Après plusieurs mois de tension entre les deux parties, l'évêque obtint un accord avec le Comte pour renforcer l'enceinte de la Cité[4] . C'est à cette occasion que la façade Est de l'enclos canonial fût sévèrement fortifiée. En 1188, le comte de Rodez ayant été évincé de tous ses droits sur le château de Montbrun[5] , les évêques purent à loisir compléter l'enceinte faisant face à la ville et permirent aux chanoines d'élever une tour pour parfaire le dispositif. La construction de celle-ci coïncidait d'ailleurs avec les démêlés des évêques avec la commune et l'assassinat de l'évêque Pierre Frotier en 1207[6] .

Les Lieux

Enclos canonial et enclos épiscopal, chacun pourvu d'une tour, flanquaient au Sud et au Nord la cathédrale romane édifiée par saint Fulcran. Il fut décidé par la suite de prolonger cette muraille de défense depuis la tour du Chapitre dite « du Prévôt » jusqu'à la porte Broussonnelle qui fermait alors la rue Notre-Dame de la Chapelle (au débouché de la rue Vieille Commune sur la place Alsace-Lorraine).

Le mur fortifié de l'enclos des chanoines est encore visible aujourd'hui, en partie caché par les aménagements modernes du presbytère. Au Sud, il part de l'angle de la rue Joseph Galtier et du Boulevard Gambetta (« cellier des chanoines ») jusqu'à la cathédrale au Nord. Il constitue ainsi la façade Est du presbytère et de la sacristie.

Sur la partie la plus ancienne (XIIe), aux murs épais (+ de 1,20m) on remarque la présence de meurtrières (murées) et de petites baies percées dans la partie supérieure de l'ouvrage qui supportait peut-être un chemin de ronde. La fenêtre ogivale et les trous de hourd sont des éléments d'une tour qu'on peut dater de la fin du XIIe ou du tout début du XIIIe siècle. Elle fut largement remaniée à l'occasion de la construction de l'abside gothique de la cathédrale (XIIIe)[7]. Les deux fenêtres étroites de style italien qui éclairent la sacristie actuelle (aménagée au XVe siècle) sont probablement du XVIe.

A l'origine ce bâtiment ne communiquait pas avec la cathédrale. Il avait sans doute une toute autre fonction que celle de sacristie (peut-être réfectoire et dortoir à l'étage). La tour qui le prolongeait au Nord faisait séparation d'avec l'église romane. De construction plus tardive, le vestibule (travée carrée insérée entre deux contreforts) de l'actuelle sacristie ne communiquait pas non plus avec ce bâtiment. Largement ouvert sur la nef et fermé vers la sacristie actuelle ce vestibule était « la sacristie » du XIIIe siècle, avec une salle d'archives et du trésor à l'étage supérieur[8] .

La Tour du Prévôt

Malgré les réticences d'Ernest Martin[9] , il est d'usage aujourd'hui d'appeler la tour ronde de la nouvelle médiathèque « Tour du Prévôt » . Dans les anciens compoix de la ville, cette tour est appelée « d'Azémar »[10] , du nom du propriétaire de la canourgue du Terron sise à proximité. C'était l'usage alors de nommer les tours de l'enceinte du nom d'un propriétaire voisin[11] . D'autre part, cette tour a été élevée, tout comme l'enceinte de la ville, en 1351 sur ordre du sénéchal royal. A cette date, il n'y avait plus de prévôt à Lodève, cette fonction ayant été supprimée au cours de la première moitié du XIIIe siècle[12] .

Comme nous l'avons dit plus haut, le prévôt était nommé par l'évêque pour diriger le chapitre cathédral. Il est expressément mentionné dans le Testament de saint Fulcran: « S.Petro preposito » [13]. Il est également nommé en 1108 dans un acte de délaissement: « et Raymundo præposito »[14] . A partir du XIIIe siècle et par la suite, il n'est plus fait mention du prévôt. En 1212 il est question d'un précenteur. Un changement est donc intervenu et la dignité de prévôt a été supprimée.

Il paraît inapproprié de nommer « Tour du Prévôt » une tour du XIVe siècle, alors que cet office est absent des charges canoniales depuis au moins 150 ans lors de sa construction !

Il nous semble plus logique de réserver cette appellation à la tour qui dominait l'enclos canonial avant la construction de l'abside gothique de la cathédrale (1265-1270).

Plan cadastral de 1833
Plan cadastral, section G1 de la ville de Lodève (1833) n° 379 à 391, Archives Départementales de l'Hérault - Visualiser en ligne

Avant l'édification de l'enceinte du XIVe siècle, les témoignages sont formels: seule la cité était protégée par une muraille. Dans son enceinte on trouvait la cathédrale, le quartier épiscopal, le quartier canonial, l'abbaye Saint-Sauveur, les ruine de l'église et le cimetière Saint-André, le cimetière du cloître. A l'Ouest, les façades massives de la cathédrale et de la Maîtrise faisaient défense. Au sud, le mur du cellier et du grenier au-dessus ne permettait aucun passage. Au Nord et à l'Est une muraille séparait la cité de la ville: « ancienement la ville de Lodève n'estoict que ce quy est depuis la porte Brossennelle jusques a la porte devers l'archidiaconné et l'abbaye, et de la jusques a la tour dicte du Provost. »[15]

La porte « devers l'archidiaconné et l'abbaye » est bien connue, c'est la porte dite « de la Cité » ou « de l'Arc » parce qu'elle offrait une certaine profondeur. Sous cet arceau (au croisement des rues Broussonnelle et de l'Hôtel de Ville), le Chapitre se groupait pour recevoir son évêque[16] .

Le mur contournait ensuite l'Abbaye et rejoignait la Tour du Prévôt en suivant un tracé en forme de cercle (actuelle rue de l'Abbaye) à l'origine de l'anomalie parcellaire soulevée par les auteurs de la Carte Archéologique de la Gaule. Ce mur bordait la rue Broussonnelle et arrivé au portail de l'Arc, il bifurquait vers la droite en suivant l'ancienne Grand-Rue (rue de l'Abbaye), puis il rejoignait le Chapitre au niveau de la Tour du Prévôt. La grand-Rue de l'époque poursuivait son cours jusqu'au Terron et montait vers le Perthus après avoir franchi la Porte des Chanoines[17] .

Cette configuration laissait le cimetière Saint-Geniez (Saint-Genès) hors les murs, donnant de la profondeur aux défenseurs éventuels de la cité et de l'enclos. Ce n'est qu'après la construction du mur d'enceinte de 1351 que les chanoines purent déborder de leur quartier et construire des canourgues (maisons individuelles réservées aux chanoines hors de leur enclos) autour du cimetière.

Francis Moreau
2017


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Bibliographie


Amador Joël : Un chapitre Languedocien au XVIIIe siècle: le chapitre cathédral de Lodève, Mémoire de maîtrise, Histoire Moderne, Université Paul Valery-MontpellierIII, octobre 1973
Barrenechea Laurent : La cathédrale St-Fulcran de Lodève, joyau de l'architecture gothique en Languedoc, Mémoire de fin de IIe cycle, École d'Architecture du Languedoc-Roussillon, session de juin 2001
Curtius Andreas : Die Kathedrale von Lodève und die entstehung der Languedokischen Gotik, Hildesheim: Olms, 2202
Dainville, Maurice de : Saint Fulcran de Lodève, in Monuments Historiques de l'Hérault, Montpellier, 1933, pp 37-38
Lazaire, Elisée : Historique de la cathédrale Saint-Fulcran de Lodève, Montpellier, imp.Gustave Firmin et Montane, 1897
Martin Ernest : Histoire de la ville de Lodève depuis ses origines jusqu'à la Révolution, Montpellier, 1900, 2 tomes, Notes d'édition
Martin Ernest et Guiraud Louise : Cartulaire de la ville de Lodève, Montpellier, 1900
Mercadier Jean : La cathédrale Saint-Fulcran de Lodève, Rodez, collection Panorama imp.Subervie, 1971
Nougaret Jean : Lodève, ancienne cathédrale St-Géniès-St-Fulcran, in Le guide du patrimoine Languedoc-Roussillon, Hachette, Paris, 1996
Picard Jean-Charles : Les quartiers canoniaux des cathédrales en France in Actes du congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, Année 1991, volume 22, numéro 1 "Clerc séculier au Moyen-Age" pp. 191-202
Renouvier Jules : Histoire, antiquité et architectonique de l'église de lodève et du prieuré St-Michel de Grammont, Montpellier, 1839
Rey Raymond : La cathédrale de Lodève, in Congrès archéologique de France, CVIIIe session, Montpellier, Paris, Société française d'archéologie, 1950
Robin Françoise : Lodève, cathédrale Saint-Fulcran, in Midi gothique, de Béziers à Avignon, Paris, Picard, 1999
Rouquette Julien : Cartulaire de l'église de Lodève, Livre Vert, Montpellier, 1911
Schneider Laurent, Garcia Dominique : Carte Archéologique de la Gaule 34/1 Le Lodévois, Maison des Sciences de l'Homme, Paris, 1998
Vidal Henri : Un évêque de l'an mil saint Fulcran évêque de Lodève, Quick Print, Montpellier 1999

Notes :


[1] Concile d'Aix-la-Chapelle, septembre 816.
[2] Voir Henri Vidal "Un évêque de l'an Mil", pp.45-48. Il y avait 13 chanoines et 14 prébendiers, voit Livre Vert p.4. Voir aussi Inventaire Briçonnet, fol.58 b,f; au XIIIe siècle la chorale de 9 enfants de chœur était dirigée par un "Prevot de cantu".
[3] Laurent Barrenechea, "La cathédrale St-Fulcran",p.28,III.2.2: "La culée du contrefort à l'aplomb de la chapelle St-Fulcran est d'une largeur démesurée: il pourrait s'agir d'un vestige de la tour de la cathédrale préromane". Voir aussi notes Hébrard, même constat: "le contrefort vient buter sur une véritable tour carrée que je croirais volontiers une tour de l'enceinte de l'évêché (XIIe siècle)".
[4] Cartulaire de Lodève doc.XXI page 24.
[5] Cartulaire de Lodève doc.XXVII et XXVIII pages 28-29.
[6] Cartulaire de Lodève doc.XXXIX page 36.
[7] Notes Hébrard, archives de la cathédrale de Lodève: "On voit la trace d'une fenêtre ogivale à droite des deux fenêtres du XVIIe siècle, on distingue mal les archères qui perçaient le mur des fortifications. Encore sur les crêtes actuelles, il y a une sorte de chemin de ronde. La moulure qui encadrait la fenêtre ogivale au niveau de la petite ouverture rectangulaire se continuait sur un mur du XIIIe; lui emboîte un mur beaucoup plus ancien qui traverse le passage du cloître à la sacristie qui parait être le même que le mur du fond S.E. de la crypte". "Il semble qu'on ait ajouté au milieu du XIIIe siècle la section terminale du mur (de la sacristie), qui semble avoir été une tour." (rapport de L.Berrenechea pour le classement du site).
[8] L.Barrenechea, p.35,III.7.1.b)L'intérieur. Dans sa visite pastorale du 27 octobre 1659, l'évêque Roger de Harlay mentionne deux sacristies, une petite derrière l'autel qui correspond au vestibule de la sacristie actuelle et une grande sacristie qui ouvrait sur le cloître (sacristie actuelle). ADH Visite pastorale de Lodève G 1061 (2 HI0206).
[9] E.Martin, Histoire de la Ville de Lodève, I p.321:"Quant à la tour du Prévôt, nous ne saurions en établir l'emplacement avec certitude, ce dignitaire ayant disparu de bonne heure." La source de l'erreur est Jean Couffinhal dans "Lodève, la Cathédrale, la Ville", Les Amis du Lodévois, p.72.
[10] Archives Départementales de l'Hérault, 142EDT87, compoix du diocèse de 1633, f°64 r."Ung patu ou estoit la maison canoniale dite del Therond près la tour d'Azemar confronte de terral la murailhe de la dite tour et portal du chapitre, du marin Me Jean d'Azemar, d'aquilon la vieilhe maistrise rue entre deux".
[11] E.Martin, I p.328: "Aucune des tours (...) excepté celles des portes, n'avait de nom distinctif; on avait coutume de les désigner sous celui du propriétaire voisin."
[12] ibid, I p.195.
[13] Henri Vidal, p.148, "Testament de Fulcran".
[14] E.Martin, Cartulaire de Lodève, pp.21-22, doc.XVI.
[15] ibid, Cartulaire de Lodève, p.130, doc.CV. Histoire de la ville de L. I p.318.
[16] E.Martin, Histoire de la ville de L. I p.320.
[17] Notes Hébrard, archives de la cathédrale de Lodève. Sur le plan cadastre de 1833 la place Alsace-Lorraine est désignée "place Louis-Philippe", la rue Broussonnelle "rue des Bourneaux", le Boulevard Gambetta "rue de Saint-Fulcran à l'Hôpital".