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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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François Aubusson: l'Art du Dialogue Amoureux...

 

François Aubusson n'a pas vingt cinq ans lorsqu'il publie son premier roman, Le Théâtre des Braves, en 1613. Mais grâce à la dédicace de son second roman, publié en 1620, L'Amour Parfait, nous savons que ceux-ci ont été écrits en 1611, voire en 1610. Ils s'inscrivent donc encore dans la tradition des fictions sentimentales de l'Âge Baroque. On notera cependant que le langage y est clair, simple, très accessible au lecteur moderne. Aucune allégorie, pas de métaphore, peu de digressions, finalement aucune préciosité ne vient alourdir un récit qui tient le lecteur en haleine.

Notre auteur est une jeune gentilhomme, étudiant en droit, « monté » à Paris grâce à l'appui de Charles de Vivonne, seigneur de La Châtaigneraie.

François Aubusson, sieur de Lespinay, est né dans les années 1590, à La Châtaigneraie (aujourd'hui dans le département de la Vendée). Sa famille, de noblesse récente, s'est enrichie dans le commerce des draps. Son aïeul Isaac Aubusson est qualifié de teinturier dans un pacte commercial de 1578 [1]. Peu à peu, par le jeu des acquisitions, des mariages et des offices ennoblissant, les Aubusson ont acquis des seigneuries: Ferret, Beauregard, Le Plessis, Le Châtenay. L'un d'eux, Isaac Aubusson, sieur de Ferret et du Châtenay, épousa Marguerite Clémenceau de la Clémencière (1589) [2], une ancêtre du « Tigre » Georges Clémenceau.

Après ses études, François Aubusson suit une carrière d'avocat au Parlement de Paris avant de revenir à La Châtaigneraie, de s'y marier en 1623 et d'occuper le poste lucratif de Sénéchal et juge ordinaire de la châtellenie de La Châtaigneraie [3].

A la fin du XVIe siècle, dans les familles bourgeoises plus encore que dans la noblesse, on fait instruire les enfants : ils apprennent non seulement à lire, mais souvent le latin et surtout le Droit qui permet d'accéder aux charges administratives et judiciaires, les seules portes d'entrée vers la noblesse de robe. Celle-ci acquise, le nouveau noble se tourne vers les arts qui permettront de briller à la cour : l'art de la conversation, celui de la danse, le goût de la poésie, de la musique et du luxe. Pour François Aubusson l'art du roman est avant tout la clef d'une promotion dans l'ordre social.

Les dédicataires : des protecteurs à la Cour

Charles III de Vivonne, baron de La Châtaigneraie [4], seigneur d'Anville, Ardelay, Moulin-Neuf et Jarnac, proche de la Cour, chevalier de l'Ordre de Saint-Michel, est le fils de Charles II de Vivonne qui fut en son temps Sénéchal de Saintonge [5]. Après la parution du livre qui lui est dédicacé (1613), il sera nommé Gouverneur de la ville et château de Parthenay (1615-1621) et créé chevalier de l'Ordre du Saint-Esprit en 1619. L'histoire retiendra que sa nomination comme Gouverneur de Parthenay lui valut l'hostilité du duc de Longueville et la menace d'un duel. Son frère, André, seigneur de la Béraudière, allait devenir Grand Fauconnier de France. Dans sa dédicace, l'auteur s'il reconnaît éprouver l'impatience de la jeunesse et s'en excuse auprès de son protecteur, reconnaît aussi la grandeur d'âme du baron de la Châtaigneraie, son compatriote, chez lequel le dédain n'a point entré dans une âme comme la vôtre qui se plaît d'être servie en honorant... Et il se déclare sans ambages l'obligé de son seigneur: votre faveur m'y conduit écrit-il.

Marie Antoinette de Loménie est la fille du secrétaire des commandements de Navarre, Antoine de Loménie (1560-1638), bientôt Secrétaire d'État à la Marine. En 1611 Aubusson sait que la noble damoiselle va bientôt épouser André de Vivonne, le frère du baron de la Châtaigneraie, capitaine des Gardes du corps de Marie de Médicis, chevalier de l'Ordre de Saint-Michel et très bientôt (1612) Grand Fauconnier de France. Ce fut un proche d'Henri IV, c'est un très proche du jeune Louis XIII. Antoinette l'épousera en 1612. Lorsque François Aubusson écrit sa dédicace, elle n'est pas encore mariée. Lorsque le livre paraîtra (1620) elle est veuve, André de Vivonne est mort prématurément en 1616. L'enfant du couple, Andrée (héritière de son oncle Charles III mort sans postérité), Dame de La Châtaigneraie [6], épousera en 1628, François VI duc de La Rochefoucauld, l'auteur des Maximes [7]. La dédicace est un appel à l'amour vrai, ces amours qui ne pouvoient s'acheminer vers une autre que vous pour estre le rendez-vous de toutes sortes de perfections. Il termine sa courte épître en lui adressant l'affection de laquelle je ne donne maintenant que les arres.

Les Œuvres

Les aventures décrites dans ces deux romans s’apparentent à des romans chevaleresques où l’héroïsme guerrier obéit plus souvent qu’auparavant à des motivations sentimentales.« Les voyages et les tribulations des héros entrent dans le plan d’une mise à l’épreuve et d’une glorification de l’amour fidèle. Ces aventures s’orientent vers des formulations évoquant un drame familial à la tonalité parfois réaliste, une révolte des jeunes protagonistes contre des parents tyranniques défendant la règle des mariages arrangés. Les solutions, tragiques ou heureuses, apportées dans la représentation de ce conflit préservent malgré tout le maintien de la concorde sociale ». [8]

Dans Le Théâtre des Braves, le héros Polimedor est un jeune noble de retour d'Italie où il a pu parfaire son éducation. Impatient d'éprouver sa bravoure, il décide de se rendre en Hongrie afin de chercher l'aventure dans les combats contre les Turcs. Son père s'oppose à ce projet, mais ne peut retenir son fils avide de gloire.

Il s'agit d'exposer les valeurs chevaleresques, la recherche de l'honneur et la défense de la chrétienté contre l'Islam. N'est-ce pas le rôle primordial de la noblesse: c'est tout l'avantage de notre condition, qui sans ce seul poinct, auroit de l'esgalité avec tout autre: car qui nous oste du pair du commun que nos beaux faicts, et qui nous faict cognoistre grands, que le témoignage de nostre courage ?

Et voilà donc notre Polimedor en route pour la Hongrie où il va rencontrer un compagnon fidèle qui partagera avec lui de rudes combats. Polimedor va s'éprendre d'une belle dame nommée Filis et entretiendra avec elle un long dialogue enflammé et sincère. En même temps le compagnon du nom de Camandre sera séduit à son tour par une belle grecque, mais mahométane, nommée Rosiane. Là encore ce sera l'occasion de longs dialogues qui ne vont cesser que pour enfin entrer en guerre et y exposer le courage et l'honneur, son courage qui n'estoit moins eschauffé des plus généreux feux de la guerre, que son ame esprise des plus vives flammes d'Amour demande d'autre costé à ses armes quelque marque pour se signaler de nouveau...

Après maintes péripéties, un duel, un meurtre et d'autres aventures, tous les protagonistes de l'histoire vont se séparer, s'éloigner et se perdre de vue au grand dam de la belle Filis dont l'auteur renonce a évoquer plus avant les larmes, je les eusse bien joints icy, si ma plume les eust peu rendre briesves: mais estant besoing qu'elles soyent estendües autant que son mal aura de durée, elle les a laissées jusqu'au temps qu'elle trouvera mon humeur disposée à les raconter pour les escrire.

Le second roman, L'Amour parfait, met en scène les amours de Darinde et de Polidon. Le roman est presque un dialogue ininterrompu autour duquel les événements semblent secondaires. Une fois encore la noblesse des personnages est exaltée: Le titre de noblesse dont vous estes vestu vous doit faire eslever le cœur par dessus le vulgaire, et ne borner votre courage que du désir d'acquérir de l'honneur. Le jeune noble reçoit une éducation propre à exalter sa condition: équitation, danse, galanterie. Épris de Darinde, Polidon est sourd aux conseils de son père. Il fuit vers l'Italie avec sa bien-aimée. Malheureusement leur navire fait naufrage. Ils sont secourus et faits prisonniers par des pirates musulmans. Ils finiront par s'évader et pourront revenir en France. Les amants seront enfin autorisés à s'accorder ensemble.

Dans ce long dialogue entre les amants, perturbé quelque peu par le fiancé choisi par les parents de Darinde et poliment éconduit, il est question de chasteté, de courtoisie, de l'amour comme une maladie: Les maladies internes sont d'autant plus difficiles à guarir, que la cognoissance en est voilée, ce qui rend la tienne incurable. Le véritable amour est un partage: faut être compagnon de la peine aussi bien que partisan du plaisir. Les plus belles amours sont les plus traversées, et la facilité d'une conqueste oste le goust à nos contentements. La vertu n'est point sans ennuie, et l'honneur ne se cueille qu'au milieu des dangers....

Les personnages de L’Amour Parfait, tout comme ceux du Théâtre des Braves, doivent combattre un puissant ennemi : « la fortune, qui oppose son incessante variabilité à leur désir d’aimer avec constance. Les désastres ou les guerres qui séparent les amants, les parents qui s’opposent à leur union, l’inconstance et la légèreté même de la personne aimée, toutes ces choses menacent « l'amour parfait » qu’ils désirent incarner » [9] .

Pour conclure nous laisserons la plume au moraliste qui sut si bien pénétrer les méandres de l'âme humaine et illustrer brillamment le nom de La Châtaigneraie, (seigneurie que lui avait apporter son épouse): L'amour est à l'ame de celuy qui aime, ce que l'ame est au corps qu'elle anime (maxime LXXVII).

Francis Moreau
2019

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Notes :


[1] Archives Départementales de la Vendée, notaire Laurent Guillebot (Fontenay-le-Comte notaires isolés).
[2] Voir Jehan Robert, notaire à Fontenay-le-Comte, acte du 1er juillet 1623, ADV 3E37/303. Une petite nièce de Marguerite Clémenceau, prénommée elle aussi Marguerite, épousera Louis Aubusson de Beauregard vers 1640. Un de leurs enfants, Louis, né en 1643 deviendra Sénéchal de La Châtaigneraie. Une fille, Marie (1648-1728) épousera en 1669 René Moreau de Marillet (1638-1722) lui aussi Avocat au Parlement de Paris et Sénéchal (cf. Registres de La Châtaigneraie).
[3] François Aubusson épousera Jeanne Berthommé vers 1623. Ils auront six enfants, dont Marie qui épousera René Sochet du Vaux, conseiller secrétaire du Roy maison et couronne de France et de ses finances. On peut se reporter aux registres de Baptême de La Châtaigneraie. Voir aussi un acte du notaire de Fontenay-le-Comte André Gaultron (1641-1660), acte du 22 juin 1641, 3E55/169-1. En 1631 François Aubusson de Lespinay devient curateur de sa nièce Marie, ADV Nicolas Joly, notaire à Fontenay, 3E37E (4e trimestre) acte du 30 octobre. Le père de Marie, François Aubusson du Châtenay était Fermier Général de l'Abbaye de l'Absie et Conseiller du Roy en l'Élection de Fontenay-le-Comte, Actes du notaire Jehan Robert des 19 juin et 25 juin 1619, 3E37/295 et du 14 mars 1620, 3E37/297.
[4] Forme ancienne: La Chasteigneraye. Voir Jehan Robert notaire à Fontenay-le-Comte, acte du 29/09/1618, ADV 3E37/293. Sur la foi d'une lettre de Jean Besly (8/11/1621) qui annonce sa maladie, Charles de Vivonne serait mort en 1621 (Lettres de J.B., Archives Historiques du Poitou, Poitiers 1880, p.145. Dans un acte du 27 mai 1623 passé à Fontenay-le-Comte chez le notaire Jehan Robert, la mention "feu" ne précède pas ses noms et qualités, ADV 3E37/302. D'autre part, à La Châtaigneraie, une tradition veut qu'il eut fondé un couvent de Dominicains en 1623.
[5] Charles II de Vivonne est décédé en 1591. Se reporter à l'ordonnance de curatelle de ses enfants mineurs, chez Me François Mesnard notaire à Fontenay-le-Comte le 25 mai 1591, ADV 3E35 A. La curatelle échoit à Pierre de Bourdeille-Brantôme.
[6] Voir un acte du 10 octobre 1624 passé chez Me Jehan Robert, notaire à Fontenay-le-Comte, EDV 3E37/305. Entre 1621 et 1631 Andrée de Vivonne fut dame d'Honneur de la reine Anne d'Autriche mère de Louis XIII. Antoinette de Loménie sa mère (décédée en 1638), était la sœur de Henri-Auguste de Loménie (1595-1666) Secrétaire d'État aux Affaires Étrangères de Mazarin entre 1643 et 1663. Quelques années après le décès de son mari, Antoinette devait se remarier (1622) avec Jacques Chabot, marquis de Mirebeau.
[7] Son père avait de nombreux intérêts en Poitou, voir un acte du 9 octobre 1621 passé chez Me Jehan Robert, ADV 3E37/300.
[8] Frank Greiner: "Amours baroques:fiction, culture et sentiments des bergeries de Julliette à La Chrysolite (1585-1627) dans l'Information Littéraire 2005/1 (vol.57) pages 52 à 55.
[9] Julia Chamard-Bergeron "La Mystique et le roman du XVIIe siècle, entre Passivité Amoureuse et Art d'Aimer", Fabula-lht, n°15, "Vertus passives": une anthropologie à contretemps", octobre 2015.