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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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Les résistances au christianisme dans l'ancien diocèse de Lodève

 

L'histoire n'a pas retenu à quelle époque et par quel missionnaire la cité gallo-romaine de Lodève a été évangélisée. La mention de Saint-Flour, l'un des soixante douze disciples du Christ, comme l'apôtre et le premier évêque de Lodève est une légende tardive, même si elle charrie peut être quelques éléments mémoriels plus anciens. [1]

Il est peu probable que l'événement eut pu avoir lieu avant le IVe siècle. Il est au contraire certain que le ou les missionnaires venaient de la communauté chrétienne d'Arles. Ils apportèrent avec eux le culte de Saint-Genès. Au Ve siècle, le métropolite de cette ville revendique la prépondérance de son siège sur l'église de Lodève. Dès cette époque, la civitas Lutevensium était donc dotée d'une organisation religieuse et ecclésiastique complète, avec en premier lieu un évêché. [2]

Cette situation ne signifie pourtant pas que toute trace de paganisme ait disparu. On sait que la christianisation fut une oeuvre de longue haleine et que pendant longtemps encore les païens resteront majoritaires dans la population. [3]

Le paganisme contre lequel doit lutter le christianisme en Gaule n'est plus tout à fait celui des druides. Ceux-ci, philosophes élitistes et sectaires refusaient toute figuration humaine et divine. Aucun écrit n'était permis et les individus ne pouvaient communiquer avec le monde divin que par leur intermédiaire. Ils avaient disparu avec la romanisation qui avait introduit en Gaule des écrits, des mythes, des images, des monnaies figuratives. Même si, dans certaines régions, les cultes celtiques font encore preuve de vitalité, le paganisme du IVe siècle n'est plus Celte, il est Gréco-romain. [4]

L'Edit de l'empereur Honorius daté du mois de décembre 408, qui ordonnait la destruction de l'idolâtrie et l'abolition des sacrifices, va entraîner un peu partout une tentative de christianisation particulièrement violente. On abat les arbres sacrés, on brûle les temples, on mutile les statues, on pille les autels, on viole jusqu'aux sépultures. [5]

La mort politique du paganisme au IVe siècle n'a pas entraîné sa disparition subite. Il faudra pour ce faire une action violente des autorités impériales et ecclésiales. A la fin du Ve siècle les religions et les philosophies rivales du christianisme n'ont plus d'apparence. Les sectes gnostiques, le manichéisme, le mithriacisme, la vieille mythologie gréco-latine, tout disparaît. [6]

Mais, comme l'écrit Ferdinand Lot, les troupeaux de païens, romains puis barbares, poussés de gré ou de force dans le giron de l'Eglise, n'ont-ils pas dégradé et altéré le sentiment chrétien ? Ces foules n'ont-elles pas subrepticement réintroduit les superstitions et le polythéisme dans un christianisme qui en avait horreur ? [7]

Avec Edward Gibbon, faut-il interpréter l'engouement pour le culte des saints et leurs ossements autrement que comme l'introduction d'une mythologie populaire qui tendait à rétablir le règne du polythéisme ? [8]

La réponse à ces questions est loin d'être simple. Il nous a semblé cependant possible de relever quelques textes lodévois en corrélation avec certains lieux pour mettre en évidence une conjonction entre traces monumentales et traces mémorielles.

Les destructions

Le corpus légendaire des événements lodévois de cette époque reculée fait tout d'abord état des destructions opérées par le zèle des missionnaires convertisseurs.

C'est surtout Saint-Flour que l'hagiographie traditionnelle caractérise comme le premier apôtre de Lodève et qui, à l'instar de Saint-Martin, détruit lui aussi les bois sacrés. Il opère ainsi aux portes du diocèse, dans l'attente du franchissement, parfois périlleux, du fleuve Hérault aux abords de la ville de Gignac. Avant d'entrer à Lodève, il renversa les vieux chênes et les hêtres autour desquels les païens se livraient à l'idolâtrie écrit Plantavit de la Pauze. [9]

Mais il est aussi parfois question de l'élimination physique des païens. La Gesta Caroli raconte le combat inégal entre Charlemagne, défenseur de la foi chrétienne, et le roi païen ou sarrazin de Lodève, Fureus. Ce dernier est mortellement frappé et même partagé en deux, en même temps que son cheval, par l'épée de l'empereur. [10]

Culte chrétien et rémanences païennes

Saint-Michel de Sauclières

Chapelle de Saint-Michel de Grandmont
Saint-Michel de Grandmont, photo Jean Becquet

Cette église est très ancienne puisque déjà mentionnée dans le Testament de Saint-Fulcran. Elle s'élevait primitivement au milieu d'un ensemble mégalithique important, siège probable d'un culte solaire. Les Gaulois y vénéraient le dieu Lug, dont l'emblème était une lance. Lug fut romanisé sous le nom de Mercure. Ce dieu psychopompe ou guide des âmes conduisait les âmes des défunts vers l'au-delà.

Avec le christianisme, Mercure prit les traits de l'ange solaire Saint-Michel, qui pèse les âmes et les conduit des ténèbres vers la lumière du paradis.

Rebâtie au XIVe siècle, l'église Saint-Michel est englobée dans le prieuré Saint-Michel de Grandmont et fut longtemps un lieu de pèlerinage. [11]

Notre-Dame de la Cité

Ancienne chapelle des pénitents-Bleus
Ancienne chapelle des Pénitents-Bleus, dessin Henri Martin

La tradition rapporte que la première prédication de Saint-Flour eut lieu auprès d'un temple païen. La présence d'un bélier sculpté sur une pierre et fixé au fronton de l'ancienne porte du temple représentait les sacrifices offerts au dieu de la fécondité.

En cette place fut élevée une église dédiée à la Vierge Marie. Ce lieu devint doublement sacré, en mémoire de Saint-Flour et en souvenir de l'ancien culte, sous les traits de la Vierge Mère.

Affectée au cours du XVIIe siècle à la confrérie des Pénitents Bleus, cette église est aujourd'hui devenue une école maternelle communale. [12]

Saint-Martin de Combas

Chapelle de Saint Martin de Combas
Chapelle de Saint Martin de Combas, photo Bernard Derrieu

Cette vieille église est située sur une butte dominant le confluent de la Soulondre avec le ruisseau du Mas de Mérou.

Elle est construite à proximité d'un temple-mausolée, élevé là au cours de l'antiquité tardive. La cella du temple est presque intacte au milieu des ruines.

Sa dédicace à Saint-Martin n'est pas anodine quand on sait que ce saint populaire fut un grand destructeur d'édifices antiques.

C'est aujourd'hui la chapelle Notre-Dame de la Salette. [13]

Saint Corneille (et Saint Cyprien) de Soubès

Chapelle Saint Corneille à Soubès
Chapelle Saint Corneille à Soubès, photo Yves Vellas

Des sépultures sous tegulae, des pièces de monnaies à l'effigie de l'empereur gaulois Tetricus (268-274) trouvées sur le site du cimetière de Soubès, pourraient attester d'un culte à Cernunnos dieu solaire à visage humain et cornu.

Ce dieu de la fécondité était aussi maître du royaume des morts et protecteur du bétail. Son culte a parfois précédé celui du pape Saint-Corneille ou Cornely (251-253) dont la chapelle, autrefois église paroissiale, s'élève au milieu du cimetière communal. [14]

Notre-Dame de Grâce à Gignac

Notre Dame de Grâce
Notre Dame de Grâce à Gignac

Un temple dédié à Vesta s'élevait au milieu d'un bois sacré couvrant une colline qui surplombe le fleuve Hérault. Avant d'entrer dans le pays de Lodève, Saint-Flour détruisit ce sanctuaire de l'idolâtrie.

Il fut remplacé par un oratoire dédié à la Vierge. Consécration chrétienne qui apparaît comme le prolongement, voire la survivance du culte de Vesta, la déesse vierge du foyer.

Au collège des Vestales, vierges consacrées chargées de l'entretien du feu sacré, succéda une petite communauté érémitique.

C'est aujourd'hui le sanctuaire de Notre-Dame de Grâce, réputé pour sa façade italianisante. [15]

La foi en héritage

Tous ces faits sont assurément légendaires. Ils ne peuvent s'être déroulés au premier siècle de notre ère. Certains ne sont que des figures imposées de l'hagiographie traditionnelle.

Ne peuvent-ils pas être, en partie, les traces lointaines d'une mémoire hantée par des événements qui se sont déroulés à la fin du quatrième, voire du cinquième siècle ? Sans doute auront-ils été retenus comme l'avancée inexorable et impétueuse d'une religion nouvelle.

La christianisation des lieux de culte païens ne serait qu'une reconnaissance implicite de la forte identité spirituelle que ces lieux symbolisaient. Leur pérennité concrétiserait même la résistance sourde à une sorte d'oppression chrétienne qui prétendait les annihiler pour toujours.

Leur existence témoigne en même temps de l'antériorité des racines païennes du lodévois et de leur coexistence apaisée avec la foi chrétienne, héritage essentiel des siècles qui nous ont précédés et ont façonné notre territoire.

Francis Moreau
2013

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Ouvrages cités


Alzieu Gérard : Les églises de l'Ancien diocèse de Lodève au Moyen-Age, Pierre Clerc, Montpellier 1998
Campi Sebastiano : Gesta Caroli magni ad carcassonam et Narbonam, Florence 1823
Gibbon Edward : Histoire du déclin et de la chute de l'Empire Romain, collection Bouquins, Robert Laffont 1983
Jullian Camille : Histoire de la Gaule, Hachette, Paris 1993
Lazaire Elisée : Lodève ses Légendes ses Saints, Montpellier 1925
Lot Ferdinand : La fin du Monde Antique et le début du Moyen-Age, Albin Michel 1968
Martin Ernest : Histoire de la ville de Lodève, Montpellier 1900
Paris H.G. : Histoire de la ville de Lodève, Montpellier 1851
Plantavit de la Pauze : Chronologia Praesulum Lodovensium, Aramon 1634
Rouquette J. : Cartulaire de l'Eglise de lodève, Livre Vert, Montpellier 1923
Vic et Vaissette : Histoire de Languedoc, Lacour, Nîmes 1993

Notes :


[1] Florus, un des soixante douze disciples du Christ, reçut le baptême des mains mêmes de Jésus sur les bords du Jourdain et le Saint-Esprit à Jérusalem le jour de Pentecôte avec les apôtres. Il suivit saint Pierre à Rome et sur son ordre partit pour la Gaule Narbonnaise où il convertit les païens. Arrivé à Gignac il détruisit un bois sacré entourant le sanctuaire de Vesta (aujourd’hui l’église ND de Grâce). Créé évêque de Lodève par acclamation du peuple, il partit ensuite dans le Haut-Pays d'Auvergne dont il convertit les habitants et après une vie longue et pénible il comprit que sa fin approchait et se retira dans une grotte. Son âme s'envola vers le ciel aussi chargée de mérites et de vertus que son corps avait été accablé de travaux et d'années. J. Rouquette, Cartulaire de l'Eglise de Lodève, Montpellier 1923, p. 44. Plantavit de la Pauze, Chronologia Praesulum Lodovensium, Aramon 1634, pp. 6-9. Voir aussi Jean Luc Boudartchouk « Florus Episcopus. Saint-Flour d’Auvergne, Saint-Fleuret d’Estaing, leurs Reliques et l’Évêque Gaulois Fleurus dans leur contexte Hagiograhique, Archéologique et Historique » Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, t.LXXVIII (2018), pp.57-134. Florus est mentionné comme évêque dans les années 449-452.
[2] Ernest Martin, Histoire de la ville de Lodève, II p. 331. Vic et Vaissette, Histoire Générale de Languedoc, I "Des origines à 629" p.263.
[3] "paganus" est utilisé par les chrétiens pour qualifier les indigènes conservant les religions antérieures. Pour Marius Victorinus au IVe siècle, il s'agit des philosophes non-chrétiens. Dans le Code de Théodose II (409) le mot "paganus" sert à définir les croyances non-chrétiennes. Il ne s'agit en aucun cas du "paysan" (homo rusticus) comme il est souvent défini aujourd'hui. Marius Victorinus, Epistola Pauli ad Galates, libro II, 4, 3. Code Theodosien, livre xvi. Saint Augustin, retractationes.
[4] Camille Jullian, Histoire de la Gaule, Tome 2, Livre VI, La civilisation gallo-romaine, chap. 1 "Les Dieux", pp. 133-164. Jean-Louis Bruneaux, "César a sauvé des pans entiers de la civilisation gauloise", dans le journal "Le Point" du 15 juillet 2010 n° 1974.
[5] Vic et Vaissette, Histoire Générale de Languedoc, I pp. 219 et 242.
[6] L'Edit de Thessalonique, de 380, fait du christianisme la religion officielle de l'Empire. Celui de Constantinople en 392, interdit l'exercice des cultes païens.
[7] Ferdinand Lot, La fin du monde antique et le début du moyen-âge, pp.61 et 417.
[8] Edward Gibbon, Histoire du déclin et de la chute de l'Empire Romain, I et II, Robert Laffont 1983.
[9] Ernest Martin, Histoire de la ville de Lodève, tome II pp.323, 330. Plantavit de la Pauze, Chronologia Praesulum Lodovensium,p.7. H.G. Paris, Histoire de la ville de lodève, I p.89. L'apostolicité de Saint-Flour est le symbole du rattachement de l'évêque de Lodève à Rome et à la continuité apostolique.
[10] "Hoc facto, Karolus cum septem milibus militum, et cum archiepiscopo Turpino et Aymone de Bayveria, comite Pictavensi, comite Egevensi, Aymerico milio Apuliae, duce Lotharingiae, duc Berguniae, ivit primus et invenit Fureum, regem Lodovensem, et Fureus fregit hastam in scutum Karoli. Karolus vero cum ensa sua, Jocosa nomine, percussit Fureum in medio galeae vexillo; et scidit eum per medium, et equum totum; itaque ensis venit usque ad terram, et quilibet de septem milibus occidit unum de Sarracenis." Sebastiano Campi, Gesta Caroli magni ad Carcassonam et Narbonam, pp. 30-31.
[11] Gérard Alzieu, Les églises de l'ancien diocèse de lodève au Moyen-Age,p.144.
[12] Ecole Fleury, cadastrée Lodève section AB n°21. Gérard Alzieu, op.cité, p.76. Elisée Lazaire, Lodève ses Légendes ses Saints, pp.29-30.
[13] Gérard Alzieu, op.cité, p.79.
[14] Gérard Alzieu, op. cité, p. 152. Francis Moreau, Soubès en Languedoc,Lodève 1992. Jean-Jacques Wunenburger : La Quête: territoires imaginaires de l'aventure, Figures,cahier du centre de recherche sur l'image, le symbole et le mythe, n°13-14, p.72.
[15] Elisée Lazaire, op. cité, p.30.