Les Armoiries de la ville de Lodève
Les armoiries successives de la ville de Lodève trouvent leur origine au début du XIIIe siècle, dans l'institution d'un conseil consulaire de dix membres. Ce conseil, chargé de traiter des affaires de la ville avec l'évêque, qui en était le seigneur dominant, avait pour attributions principales le vote de l'impôt et la garde des murs de la cité. En 1219, il accordait à l'évêque le droit de tendre des chaînes dans la ville et les faubourgs.[1] A vrai dire, cet accord avait été arraché à Pierre Raymond de Montpeyroux, désireux avant tout de vivre en paix avec les habitants. La guerre contre les Cathares et les incartades du seigneur de Clermont [2] absorbaient alors l'essentiel des forces de l'énergique évêque. Le conseil consulaire utilisait dès cette époque un sceau pour authentifier ses actes, marque nécessaire d'identification, à une époque où l'illettrisme était général. Nous n'avons pas la description de ce sceau, mais on peut légitimement penser qu'il portait déjà des armoiries. Ce conseil, qui peu ou prou empiétait sur les attributions de l'évêque, fut révoqué et dissous en 1236 par l'évêque de Béziers Bernard de Cuxac. Cette décision avait été prise sur les instances de Pierre Raymond et de son Chapitre qui toléraient mal un organisme qu'ils ne contrôlaient pas. Mais c'est sous Guillaume de Caselles que la suppression du consulat fut effective, et son sceau brisé : Item predictum sigillum frangi, destrui et in perpetuo prohiberi... [3]
Le blason que s'était choisi la ville de Lodève à cette époque ne devait pas être différent de celui qui figurera un peu plus tard sur le second sceau. Son modèle en était le blason du Chapitre: D'azur à la croix d'or . La ville différencia son écusson de celui du Chapitre en changeant métal et couleur : D'argent à la croix de gueules .
SIGILLUM UNIVERSITATIS
Sceau des Sigilliers des Draps (XVe siècle). Photo G.Mareau
A la mort de Guillaume de Caselles (1259), le mouvement communal se reconstitue au grand dam du nouvel évêque, Raymond Belin.[4] En toute hâte, une commission d'arbitrage est mise en place (1260), sous la présidence de l'archevêque de Narbonne. Avec une sagesse digne de Salomon, elle accorde une représentation aux notables de la ville, mais écarte les pouvoirs d'un véritable consulat. Une Université de syndics est donc constituée, mais avec des prérogatives si insignifiantes que l'évêque peut se targuer d'être seul et en tout, le seigneur temporel de la ville de Lodève.
Tout au moins la Charte Communale octroyée par l'évêque en 1262 prévoyait-elle l'usage d'un sceau, placé sous la responsabilité de trois syndics. Mais les conditions faites à l'usage de ce sceau étaient draconiennes : l'assentiment de 30 notables, pas moins, était exigé pour sceller une simple lettre, ad litteras autem salutatorias et non obligatorias sigillandas universitatem non oporteat congregari, set sufficia in hac parte majorum et meliorum civium unsque ad triginta adhiberi consensum. [5]
La charte ne décrit pas le sceau, mais en précise la légende : Sigillum Universitatis Lodove. Tout peut laisser croire que c'était une reprise de l'ancien sceau, brisé par Guillaume de Caselles.
LE SCEAU DES DRAPS
En 1288, afin de mieux contrôler la qualité des draps de Lodève, l'évêque fut prié de décréter certains règlements et d'instituer deux Visiteurs des draps pour en surveiller l'exécution. Dès avant 1300, ces Visiteurs sont eux aussi munis d'un sceau afin de marquer les draps. C'est pour cette raison qu'ils sont nommés sigilliers : Electi ad sigillandum pannos civitatis Lodove jurant ad sancta Dei evangelia in manibus episcopi, quod diligenter officium exercebunt, et quod tantum panos sufficientes et mercandabiles sigillabunt, emolumenta fideliter lavabunt et bonum compotum episcopo vel ejus preceptori faciant et deddant. [6] Et oultre que ceulx qui depuis huict ans derniers auroient esté scelleurs et visiteurs des draps dud. Lodève heussent a rendre ce qu'ils avoient receu de pension ou gaiges ou esmoluments desd. sceaux des draps, lesquelles choses pouvoient valloir de trente a quarante livres par an. [7]
Il ne fait aucun doute que ce sceau portait lui aussi le blason de la ville de Lodève. Une matrice de sceau du XVe siècle, présentée à tort comme le sceau du Chapitre, en fait foi. [8]
D'ARGENT ET DE GUEULES
La description de ce blason est d'ailleurs contemporaine, puisqu'on la trouve dans un inventaire du mobilier de l'hôtel de ville réalisé en 1425 : unum tabularium cum uno tapisso sive tapit viridis coloris, cum quatuor scutis factis in eodem, campo albo et cruce rubea in quolibet. [9] Ce tapis, de couleur verte, était décoré de quatre écussons portant chacun une croix rouge sur champ blanc. Il s'agit bien des armoiries de la ville : D'argent à la croix de gueules. Confirmation peut en être apportée par la première page du compoix de 1586 qui porte le même blason, modifié au XVIIIe siècle par l'adjonction des quatre figures actuelles. [10]
D'AZUR ET D'OR
En 1634, l'évêque Plantavit de la Pauze attribue à la ville un blason identique, mais aux couleurs de celui du Chapitre : (urbs)gerit autem pro insignibus crucem auream in campo cærulo. [11] Il s'agit là d'une confusion entre les deux blasons, ce dernier portant comme on l'a vu plus haut : D'azur à la croix d'or. [12]
Blason sur une clef de voute de la cathédrale (1637). Photo B.Derrieu
L'ETOILE ET LE CROISSANT
On trouve pour la première fois le blason cantonné des quatre figures actuelles, sur les bornes placées en 1654 pour délimiter le terroir de Lodève (le blason des anciennes bornes ne comportant point les figures), puis sur le sceau des drapiers de 1670. [13]
Sceau des Visiteurs des Draps (1670). Photo B.Derrieu
On peut le décrire ainsi : D'azur à une croix cantonnée au 1er d'un croissant, au 2e d'une étoile, au 3e de la lettre L et au 4e de la lettre D, le tout d'or.
Borne de 1654 (actuellement dans le cloître de la cathédrale). Photo B.Derrieu
Il s'agit là de la reprise du blason du Chapitre, suite à l'erreur de Plantavit, à laquelle on a rajouté les quatre figures qui nous sont familières aujourd'hui. On retrouve ce blason sur les bodules plantées en 1654 pour marquer les limites du territoire de Lodève. A cette différence près que le premier canton est chargé de l'étoile en place du croissant et réciproquement pour le second canton.
DE LUTOVA A LODOVA
Ce blason sera celui de la ville jusqu'à la Révolution et la suppression des insignes de l'ancien régime. En 1814 le rétablissement des anciennes armoiries est permis. En 1816 le maire de Lodève propose un blason quasi identique à l'ancien, on aurait simplement retiré les figures. Mais on y ajoutait une devise inspiré de Plantavit : Lodova A Ludovico Octavo (Lodève de Louis VIII). [14]
La devise consacrait une erreur propagée par le grand évêque du XVIIe siècle, qui s'appuyait sur une prétendue charte de Louis VIII en faveur de l'évêque Pierre de Lodève et son église, pour leur appui dans sa lutte contre les Albigeois et le comte de Toulouse: voluit et statuit, ut deiceps sedes eius Episcopalis non amplius Lutova, sed Lodova a nomine suo Lodoïco, seu Lodovico quasi Lodovicea la ville Louis nuncuparetor. [15]
Enfin, en 1818 une Ordonnance royale accorde le nouveau blason à la ville de Lodève en y ajoutant en abîme une fleur de lys d'or sur azur. On peut décrire ce nouveau blason comme suit :
D'azur à la croix d'or cantonnée au 1er d'une étoile, au 2e d'un croissant, au 3e de la lettre L capitale, au 4e de la lettre D capitale, le tout d'or, sur le tout d'azur à une fleur de lys aussi d'or.
Le blason de 1818 (à gauche). Photo B.Derrieu
Les blasons de la ville et de l'église de Lodève se trouvent en fin de compte confondus aujourd'hui en un seul blason, unique blason pour une ville et un évêché, indissociable de l'histoire civile et religieuse d'une cité qui mérite bien son qualificatif de cité épiscopale. N'y a-t-il pas meilleure symbole de cette communion quasi-mystique, que le blason figuré en vitrail au centre de l'abside de la cathédrale ? A lui seul il peut prétendre rassembler en une image la noblesse (le croissant) et la prudence (l'étoile) qui sont les meilleurs attributs d'une si ancienne institution.
Vitrail de la cathédrale. Photo B.Derrieu
Francis Moreau
2011
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Notes :
[1]
Ernest Martin,Cartulaire de la ville de Lodève,Montpellier 1900, XLIII, p.39.
[2]
Ernest Martin, Chronique et Généalogie des Guillem de Clermont,Marseille 1892,p.13.
[3]
E.Martin, Cartulaire de Lodève, LVIII, p.58.
[4]
E.Martin, Histoire de la ville de Lodève I,Montpellier 1900, p.65.
[5]
E.Martin, Cartulaire de Lodève, LVIII, p.61.
[6]
Livre Vert,Rouquette, Montpellier 1923 p.76.
[7]
E.Martin, Cartulaire de Lodève, LXXI,p.101.
[8]
Le sceau du Chapitre était rond, avec un évêque de face à mi-corps, tenant la crosse dans la main droite, un livre ouvert sur la gauche et accosté des lettres S.F. qui signifient Sanctus Fulcrannus. La devise en était : Sigillum canonicorum Lodove. (E.Martin, Histoire de la ville de Lodève I, p. 196). Voir aussi Collection de sceaux, par M. Douet d'Arq, Première partie, tome II, Paris 1867,sceau 7200,page 594. Ce sceau en cire verte est appendu à une procuration pour les Etats-Généraux de 1303, voir Documents relatifs aux Etats-Généraux et Assemblées réunies sous Philippe le Bel, par Georges Picot, Paris MDCCCC1, document LXXXVII, page 121. On peut lire la devise suivante sur le sceau des drapiers : Sigillum:mercadiis ou mercandabilem:compotum:Lodove. Sur la présentation fautive, voir G.Mareau, M.Cauvy, B.Castanier, Lodève L'antique Luteva,EPEL, Lodève 2009,p.97.
[9]
E.Martin, Cartulaire de Lodève, CXXI, p.155.
[10]
E.Martin, Histoire de la ville de Lodève I, p. 176.
[11]
Plantavit de la Pauze, Chronologia præsulum Lodovensium,1634, p.2 et E.Martin, Histoire de la ville de Lodève I, p.175.
[12]
E.Martin,Histoire de la ville de Lodève I, p. 196.
[13]
ADH, 142 EDT 38.
[14]
Plantavit de la Pauze, Chronologia præsulum Lodovensium, 1634, p.1 : Lutovium, sive Luteva à luto, sicut Lutetia Parisiorum, olim dicta, nunc vero Lodova, à Ludovico, seu Lodoïco huius nominis octavo, ut videbitur inferius ad annum MCCXXV. nuncupata, in veteri Gothorum regno, & Tolosano parlamento, sub Narbonensi metropoli, a qua tredecim leucas abest, sita est.
[15]
Plantavit de la Pauze, Chronologia præsulum Lodovensium, 1634, P. 136.