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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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Pons de Lauzières: un Légiste du XIVe siècle

 

Le XIVe siècle s'ouvre à Rome avec une extraordinaire exhibition de la théocratie pontificale[1] au moment même où les fondamentaux de celle-ci sont très sérieusement sapés par l'irrésistible ascension des royautés nationales et leurs cortèges de légistes. Mais, tout comme les rois, les papes d'Avignon vont encourager vivement les enseignements universitaires, le Droit canonique en premier lieu. Désormais, les postes les plus importants au sein de l’Église seront réservés aux seuls gradués. [2]

Le Droit Canon s'impose alors comme le seul moyen de consolider une puissance pontificale qui paraît chancelante, d'obtenir la soumission des Eglises locales et enfin, d'endiguer autant que faire ce peu l'indépendance des Princes laïcs.

Malgré les épreuves de ce temps, cette dynamique impulsée à travers les multiples canaux ecclésiastiques fortifiera singulièrement la position des évêques de Lodève, face à leur clergé et aux nombreux féodaux. Ils verront conforter leur puissance spirituelle et civile au moyen de la Loi.

La politique constante des évêques de Lodève à cette époque est donc, non seulement de recruter leurs collaborateurs parmi les jurisperiti [3] mais d'envoyer également leurs meilleurs sujets étudier à l'Université afin de s'y former.

Château de Lauzières par Bernard Derrieu
Le château de Lauzières, photo: Bernard Derrieu

Pons de Lauzières

Pons de Lauzières Pons de Euseria fils d'Arnaud III et de Garsinde de Mostuejouls, né vers 1310 à Lauzières, est un cadet de famille noble sans doute promis très tôt à faire carrière dans l'Eglise. Placé sous la protection de son oncle, le futur cardinal de [4] Mostuejouls, bénédictin, il entre au studium de l'Abbaye de Saint-Guilhem-du-Désert. Envoyé à l'Université des Deux Droits de Montpellier pour parfaire sa formation, il y est remarqué par le Vicaire Général du diocèse de Lodève Bernard de Montagut. Celui-ci invite le bachelier comme expert au procès des hérétiques Béguins qui se tient à Lodève au mois de juillet 1323. [5]

Pons est Docteur en Droit Canon Decretorum Doctor en 1331, l'évêque Bernard Gui sensible à la recommandation du cardinal de Mostuéjouls, l'incorpore à son Chapitre Cathédral et crée pour lui l'office de Sous-Sacriste. [6] Il est nommé par la même occasion prieur de Saint-Martin de Combas, [7] vieille église sise à une lieue de Lodève.

Tour de Saint Martin de Combas
Ruines de la tour de Saint Martin de Combas, photo: Bernard Derrieu

Saint-Martin de Combas

Plan de St-Martin de Combas en 1767
Saint-Martin de Combas sur un plan de 1767, ADH 142EDT197 photo: Bernard Derrieu

L'église Saint-Martin de Combas avait été édifiée au XIIe siècle sur un fief acquis par l'évêque Pierre Raymond de Rouergue (1102-1142). [8] Un peu plus tard, le manse de Combas fut cédé au Chapitre et la chapelle rattachée à l'église Saint-André. La chapelle Saint-Martin avait été élevée non loin d'une tour antique qui servait encore d'ermitage en 1635. Les vestiges de cette tour détruite au XIXe siècle ont été examinés très succinctement par Guy Barruol en 1963. [9] L'archéologue a conclu prudemment à un possible mausolée de l'antiquité tardive, mais sans certitude aucune, faute d'indices probants sur la fonction de l'édifice. L'hypothèse du tombeau d'un responsable minier du Ier siècle avancée par certains est tout à fait hypothétique. [10]

Ce monument à la forme parallélépipédique et aux puissantes maçonneries fortement contrefortées est peut-être le plus vieux monument du lodévois, à l'exception bien sûr des monuments de la préhistoire.

Expert en Droit

L'octroi de bénéfices ecclésiastiques était un moyen d'assurer au jeune professeur une existence stable. Il partageait ainsi son temps entre Lodève où le rattachaient les devoirs de sa charge et Montpellier où il enseignait le Droit Canonique à des élèves studieux. On comptait parmi eux le jeune Guillaume Grimoard, le futur pape Urbain V. [11]

Désigné comme exécuteur testamentaire de son oncle le cardinal de Mostuejouls, il dut veiller personnellement au rapatriement de la dépouille mortelle du cardinal, décédé en 1335 en Avignon, vers le monastère de Saint-Guilhem où il fut inhumé. [12]

La région vit arriver la peste en 1348. Portée de l'Orient par des navires marchands, elle se répandit en France et dans toute l'Europe, semant la désolation et exacerbant les fanatismes religieux. C'est ainsi que les blasphémateurs furent plus rigoureusement punis. Les juifs furent accusés d'avoir empoisonné les sources et les puits. Lodève, comme Montpellier ou Béziers, fut frappée par le mal au printemps. Un tiers de la population devait y laisser la vie, à commencer par l'évêque Bertrand Du Mas. Après cette calamiteuse épidémie le frère de Pons, Anglésian Ier de Lauzières, fonde l'abbaye de moniales bénédictines de Gorjan près de Clermont-l'Hérault (1350).

La courte mais impromptue vacance du siège, l'hécatombe parmi les notables religieux ou laïcs, la nomination d'un évêque qui s'abstint de paraître, contribua à désorganiser suffisamment le diocèse et conduisit le Chapitre à s'associer plus avant aux pouvoirs de l'évêque, voire à son détriment. Le chanoine Pons fut nommé Archiprêtre et devint Official de Lodève. Il dirigeait donc la juridiction ecclésiastique diocésaine qui avait compétence sur les clercs, mais aussi sur les miséreux, les étudiants, les pèlerins, les lépreux. Le tribunal était compétent dans les causes d'hérésie, de sorcellerie, de sacrilèges, les mariages et toutes espèces de dommages aux biens des églises.

En 1355, c'est à la suite d'un différent entre le Chapitre et les recteurs de l'Aumône Saint-Blaise chargés de l'approvisionnement puis de la distribution de cette aumône, que Pons de Lauzières intervient comme conseiller.
[13]

Aumône Saint-Blaise

L'Aumône Saint-Blaize avait été fondée par l'évêque Guillaume de Caselles en 1253. [14] à l'époque, il s'agissait de distribuer une aumône générale envers les pauvres, les mardi et mercredi après la sexagésime. Le blé et l'orge nécessaires pour la confection des pains étaient tirés pour une part d'un domaine du Chapitre à Canet et pour une part moindre dans le grenier de l'évêque. En 1262, les chanoines Hector de Séverac et Guillaume de Valhauquès acquirent pour le compte du Chapitre et pour alimenter l'Aumône, la métairie de la Grange des Prés près de Pézenas. L'aumône annuelle se déroulait alors pendant les quinze jours qui précédaient la fête de Saint-Blaise, le 3 février.

L'accord de 1355 obligeait donc le Chapitre à fournir 52 setiers de mixture (froment et orge). Suite à l'appauvrissement général de la Guerre de Cent Ans, la quantité exigée par les recteurs devait tomber à 37 setiers en 1437.

On sait que le domaine de la Grange des Prés fût acquis en 1587 par le duc Henri Ier de Montmorency.

Juge ecclésiastique

En 1356, le chanoine Pons, en tant qu'Official, doit régler une querelle de juridiction entre Saint-Victor de Marseille et le monastère de Nant (Aveyron). L'Abbé de Nant cherchait alors à secouer la tutelle de la grande Abbaye. [15] L'affaire ne fut vraiment conclue qu'en 1380, par une convention entre les deux monastères qui contraignait les moines de Nant et leur Abbé à payer annuellement à Saint-Victor quatre francs or 4 francos aureos.

La même année 1356, Pons est arbitre, en compagnie d'une autre chanoine de Lodève Bérenger de Villeneuve, dans une transaction passée entre l'évêque de Maguelone et son Chapitre. L'accord prévoyait une refonte complète des statuts canoniaux du Chapitre de Maguelone.[16]

On sait aussi le rôle important que prit Pons de Lauzières en tant que Procureur de Dame Blanche, veuve du notaire Bernard de Cambous. Il s'agissait d'installer le couvent des Carmes dans le quartier de Rivaudrac, sur la rive gauche de la Lergue au-delà du pont et à portée de flèche de la porte principale de la ville de lodève. [17]

En 1361, Pons est désigné comme exécuteur testamentaire de son neveu Raymond II de Lauzières. Ce sera la dernière action publique connue de cet éminent juriste. [18]

Propter sanctissimam

Il meurt en 1363, laissant à ses confrères et à ceux qui ont eu affaire à lui l'impression d'avoir été un homme de savoir, un homme de bien et un homme de piété. Mieux, tout Lodève le regrette et le célèbre déjà comme un saint. Des miracles lui sont même attribués quand l'écho de cette renommée parvient en Avignon où siège son ancien élève, Guillaume Grimoard, sous le nom d'Urbain V. [19]

Le pape, qui n'a rien oublié de ses études à Montpellier, entame cette année-là la procédure de canonisation de Delphine de Sabran. Il émet publiquement le souhait de canoniser également Pons de Lauzières, qu'il qualifie d 'excellent docteur doctor egregius, en relevant la sainteté de sa vie et les miracles qui ont suivi sa mort. On peut regretter que le décès d'Urbain V en 1370 ait empêché la réalisation de son voeu.

Francis Moreau

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Bibliographie


d'Aigrefeuille Charles : Histoire de la ville de Montpellier 2, Montpellier MDCCXXXIX
Albanès J.H. : Recherches sur la famille de Grimoard, Privat, Mende 1866
Alzieu Gérard : Les Eglises de l'ancien diocèse de Lodève au Moyen-Age, Pierre Clerc Montpellier 1998
Père Anselme : Histoire Généalogique et Chronologique de la Maison Royale de France, tome 7, Paris MDCCXXIII
Chélini Jean : Histoire de l'Occident Médiéval, Hachette 1991
Chevalier Ulysse : Liber de vita et miraculis beati Urbani pape Quinte, in Actes Anciens et documents concernant la bienheureux Urbain V, etc, par J.H. Albanès, A.Picard, Paris 1897
Cholvy G. : Histoire de Montpellier, Privat 2001
La Chesnaye : Dictionnaire de la Noblesse de France, tome VIII, Paris MDCCLXXIV
Germain Alexandre : Cartulaire de l'Université de Montpellier Tome I, Montpellier 1890
de La Roque Louis : Catalogue Historique des Généraux Français, fascicule 1 Connétables et Maréchaux de France, Paris 1896
Manselli Raoul : Spirituels et Béguins du Midi, Privat 1989
Mareau, G. Cauvy, M. Castanier B. : Lodève l'Antique Luetva, EPEL, Clermont l'Hérault 2009
Dom Martène et Dom Durand : Veterum scriptorum et monumentum historicum, dogmaticum, mordium, amplissima collectio, tomus 6, Paris MDCCXXIV
Martin Ernest : Cartulaire de la ville de Lodève, Montpellier 1900
Martin Ernest : Histoire de la ville de Lodève I-II, Montpellier MCM
Mazel Elie : Nant d'Aveyron, Rodez MCMXIII
Rouquette J. : Livre Vert, cartulaire de l'église de Lodève, Montpellier 1923
Vones Ludwig : Urban V (1362-1370) Kirchenreform zwischen kardinalkollegium, kurie und klientel, A. Hiersemann, 1998

Notes :


[1] Ouverture du Jubilé 22 février 1300, Boniface VIII se montre à la foule revêtu des insignes impériaux.
[2] Chelini p. 450.
[3] Hugues de Neula, Guillaume Salvatge, Etienne Genès sont juristes. Hugues Azémar, Pierre Villani sont licenciés en Droit.
[4] Raymond de Mostuejouls (1275-1335). Entre au monastère de Saint-Guilhem où son oncle Guillaume de Mostuejouls est Abbé. Il devient Abbé de Saint-Thibéry au diocèse d'Agde, Docteur en Droit canonique, Chapelain du pape Jean XXII, Evêque de Saint-Flour (1317) puis de Saint-Papoul (1319), cardinal en 1327.
[5] Registre DDD de l'Inquisition de Carcassonne.
[6] Livre Vert p. 6.
[7] Une erreur à fait écrire Saint-Martin de Colombe à certains auteurs. Il y a là une confusion avec le prieuré de Saint-Martin de la Colombe mentionné dans le pouillé de l'évêché de Sens, pp. 135 et 203.
[8] Livre Vert p. 48.
[9] Gallia 1964-2 : 493.
[10] Mareau page 128.
[11] Urbain V (1362-1370), Docteur en Droit Canon à Montpellier en 1342, professeur à l'Université jusqu'en 1348.
[12] P.Anselme P.413.
[13] Livre Vert pp.110-113, Martin I pp.241,351,352 et II p.79 note 3.
[14] Livre Vert p.59.
[15] Mazel pp.121-122, La Roque p.79.
[16] d'Aigrefeuille pp.114-116.
[17] Cartulaire de la ville de Lodève CVI p. 131 et Histoire de la ville de lodève I p.224.
[18] Père Anselme p. 414.
[19] Martène p.189 : "Domnus Pontius decretorum doctor egregius, quem dominus papa Urbanus canonizare volebat, propter sanctissimam vitam ejus, et multa miracula quae in vita fecit pariter et post mortem....".