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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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Navarre sans peur !

 

Le 10 mai 1621, les députés protestants de France réunis en Assemblée à La Rochelle, décident de se doter d'une organisation militaire. Celle-ci est placée sous le commandement général du Duc de Bouillon. Le Duc de Rohan, qui est aussi le gendre de Sully, ancien ministre de Henri IV, se voit particulièrement chargé du commandement en Languedoc et Guyenne. L' Assemblée n'hésite pas à solliciter l'appui de l'étranger : en Angleterre, en Hollande et auprès des princes protestants d'Allemagne. Tout laisse craindre la constitution d'un État dans l'État ou du moins celui d'une division profonde entre les sujets du roi Louis XIII.

Armure de Jean de Saulx-Tavannes
Armure du comte Jean de Saulx-Tavannes (père de Charles de Saulx), XVIe siècle, Musée des beaux arts de Dijon, via Wikipédia

Devant ce danger, l'Armée royale est mobilisée, mais elle est tenue en échec devant La Rochelle et Montauban, bastions protestants. Il faudra attendre la campagne de 1622 et la prise de Bédarieux par le Maréchal de Praslin (21 juillet), puis le siège et la capitulation de Montpellier en octobre pour apaiser les esprits.

Depuis les Guerres de Religions et de la Ligue, la ville de Lodève devait supporter le passage ou le séjour régulier des troupes. Le gouvernement royal tentait de contenir les ambitions des uns et des autres, celles d'un Rohan [1] d'abord, d'un Montmorency [2] ensuite. Les princes entraînaient la ville dans le courant de leurs ambitions, tour à tour soumis ou rebelles au roi. Les régiments cantonnaient dans le château-fort de Montbrun et leur entretien entraînait pour la ville d'énormes dépenses qui semaient le mécontentement dans la population. Dès 1615, un gouverneur particulier et cinquante hommes à pied étaient installés dans la forteresse. Plus tard, cette garnison fut portée à cent hommes. C'était parfois des régiments entiers qui prenaient leurs quartiers à Montbrun et en ville où les altercations n'étaient pas rares. Une fois, un soldat logé au château, ayant blessé un habitant d'un coup de mousquet, l'indemnité de 200 livres accordée à la victime fut mise à la charge de la Communauté !

Le Régiment de Navarre

Drapeau du Régiment de Navarre
Drapeau colonel du Régiment de Navarre

C'est ainsi qu'un régiment prestigieux vint tenir ses quartiers à Lodève entre deux opérations militaires : Le Régiment de Navarre.

Il avait été créé en 1568 et affecté à la garde du Roi de Navarre (le futur Henri IV). C'était donc à l'origine un régiment protestant. En 1594 il devient régiment royal et catholique, comme son chef. Il est nommé Navarre et constitue l'un des quatre « vieux » régiments de France, avec Picardie, Piémont et Champagne. Il avait pour devise Navarre sans peur !

En 1622 Navarre est dans la région, il participe à la prise de Bédarieux et se distingue au siège de Montpellier en menant plusieurs attaques contre les assiégés (31 août au 19 octobre). Après une longue période de repos, on le trouve au siège de La Rochelle (1627-1628) puis il est mobilisé pour la campagne du Piémont de 1629.

Le Pas de Suse

La campagne du Piémont est déclenchée par la difficile succession au duché de Mantoue. Après la mort du duc Vincent II, son successeur désigné, Charles de Gonzague Duc de Nevers, est contraint de se réfugier dans la ville de Casal (Casale Monferrato), sous la pression des Habsbourg et du Duc de Savoie qui s'empare des cités du Montferrat et vient mettre le siège sous la ville. Depuis François Ier, les rois de France vivent dans l'obsession de l'encerclement. Les Habsbourg contrôlent en effet les territoires qui bordent la plus grande partie des frontières terrestres du royaume. D'autre part, l'Espagne ambitionne la domination universelle et ne peut s'accommoder d'une France unie et forte. Abandonner Charles de Gonzague, c'est l'assurance du démembrement du duché et l'abandon de toute l'Italie du Nord en faveur de Philippe IV d'Espagne et de ses alliés. Louis XIII et Richelieu décident donc de faire lever le siège de Casal par la force (13 janvier 1629).

Au mois de mars 1629, le roi et l'armée arrivent devant Suse dans les Alpes Italiennes où le Duc de Savoie a fait élever des défenses. Trois retranchements hauts de sept mètres, larges de quatre et renforcés de barricades et de fossés, barrent d'un bout à l'autre l'étroit défilé. Au sommet, 2700 hommes occupent un fort bourré d'armements. Les généraux temporisent quand le comte de Sault propose d'envoyer des hommes sur les montagnes alentours et de créer un effet de surprise. Les Savoyards, impressionnés par le nombre et la détermination des assaillants vont rapidement perdre pied et sont mis en débandade en moins d'une heure. Le régiment de Navarre occupe alors la ville de Suze. Cette action victorieuse (6 mars) contraint le Duc de Savoie à traiter avec Louis XIII. Il décide d'évacuer le Montferrat, donne en gage la forteresse de Suse. Quelques jours plus tard, les Espagnols lèvent le siège de Casal. Les Italiens et les impériaux viennent de se heurter à ce qu'ils appellent la furia Francese.

Le Régiment de Navarre va camper quelques semaines à Suse avant d'accompagner le Cardinal de Richelieu au siège de Privas, en Vivarais, afin d'en chasser la garnison protestante (14 au 18 mai 1629). En juin l'Armée Royale se trouve devant Alès. La ville tombe le 16. Le 28 juin, Louis XIII octroie l'Édit de Grâce d'Alès qui ferme l'interminable chapitre des guerres de religion. Le 20 août, ce sera la prise de Montauban, dernière position rebelle.

Charles de Saulx

Au mois de juillet 1629, après la prise d'Alès, le Régiment de Navarre stationne à Lodève et prend ses quartiers au château de Montbrun. On peut supposer que le millier d'hommes qui formait ce régiment ne logeait pas entièrement au château, mais était réparti dans plusieurs quartiers de la ville de Lodève et de ses alentours. Navarre était divisé en quatre bataillons qui formaient à leur tour dix-sept compagnies. Les régiments d'infanterie étaient alors composés de piquiers, armés de piques (la baïonnette au fusil était inconnue); d'arquebusiers munis d'arquebuses à rouet; et de mousquetaires à pied et à cheval, équipés de mousquets plus puissants que l'arquebuse, mais qui devaient être appuyés sur une fourche pour tenir le tir, la fourquine. Il n'y avait pas vraiment d'uniformes à l'époque et les parades militaires étaient aussi brillantes qu'hétéroclites, le curieux port d'arme se faisant sur l'épaule gauche, à la manière des anciens Suisses de nos cathédrales. En règle générale, les soldats portaient sur leurs vêtements les armoiries et les symboles de leur chef qui était propriétaire du régiment. Trait particulier à Navarre : lors des défilés et des parades, les Piquiers prenaient le pas devant les Mousquetaires, contrairement à l'usage des autres régiments.

Le Maître de Camp du régiment, nous dirions aujourd'hui le Colonel, était un grand seigneur bourguignon : Charles de Saulx-Tavannes, Vicomte de Ligny-le-Châtel, Comte de Brancion, Marquis de Lugny et Tavannes, Bailli du Maconnais. Il était né vers 1582 au château de Sully dans la Saône-et-Loire. Son père, Jean de Saulx, avait été fait Maréchal de France par la Ligue du Duc de Mayenne. Son oncle, Guillaume de Saulx était Lieutenant du roi Henri III en Bourgogne. Son grand-père était l'illustre Gaspard de Saulx (1509-1573). Gaspard de Saulx avait été le compagnon d'infortune de François Ier après la défaite de Pavie (1525). Il avait vaincu les troupes de Charles Quint à Cérisoles en 1544. Il était alors sous les ordres du Comte d'Enghien. Il fut fait Lieutenant Général de Bourgogne, Bailli de Dijon, puis se distingua contre les protestants à Jarnac et Moncontour (1569). En 1570 il est fait Maréchal de France par le roi Charles IX et Amiral des Mers du Levant. Il devient Gouverneur de Provence en 1572.

Blason des Saulx-Tavannes
Blason des Saulx-Tavannes

Un des prédécesseurs de Charles de Saulx à la tête du Régiment de Navarre était d'origine lodévoise : Antoine Pons de Lauzières, Marquis de Thémines. Il s'était fait tué au siège de Montauban en 1621. [3] Il avait été remplacé par Henry de Buade de Frontenac, victime lui-même d'un coup de mousquet aux combats de Saint-Antonin-Noble-Val en 1622. Lui avait succédé Henry-Charles de Neufville, Comte de Bury, mort lui aussi au combat après le siège de La Rochelle (1628). On le voit, la place n'était pas une sinécure !

Charles de Saulx s'était distingué, on l'a vu, lors des combats du Pas de Suse. Son régiment était au repos à Lodève en attendant une nouvelle mission qui devait le conduire vers Montauban et de nouveau vers le Piémont Italien. Mais la Providence en avait décidé autrement. Atteint d'une maladie aussi soudaine qu'imprévue, Charles de Saulx devait décéder dans son logis du château de Montbrun, le 27 juillet 1629. [4] Comme on peut le penser, l'émoi fut grand dans la garnison et tout aussi grand à Lodève. Le Marquis de Tavannes était un grand seigneur et sa disparition brutale fit l'évènement de ce milieu d'été. Sans retard, il fut décidé d'embaumer le corps afin de le transporter en Bourgogne, dans le sépulcre de ses prédécesseurs. Selon le rituel en usage à l'époque, il fut lavé avec de l'eau-de-vie et du vinaigre, éviscéré et frotté d'extraits de plantes aromatiques. Le corps fut ensuite placé dans un lourd cercueil de plomb, nécessaire pour empêché l'exhalaison des mauvaises odeurs pendant le transport de plusieurs jours vers la Bourgogne. Quant aux entrailles, après une courte veillée funèbre dans la cathédrale, elles furent inhumées à l'entrée du cimetière, du côté de l'église. Il s'agit probablement du cimetière Saint-Geniez qui n'existe plus aujourd'hui. On peut supposer aussi, mais sans certitude, que le corps a été transporté au château de Sully (Saône et Loire) où résidait son père (qui devait y décéder en 1630). [5]

Le régiment endeuillé devait encore rester quelques semaines à Lodève avant de reprendre le chemin du Piémont à la fin de 1629, sous les ordres de son nouveau chef, le Marquis Charles Rouvroy de Saint-Simon (1600-1690), Gouverneur et Bailli de Senlis, Capitaine du château de Chantilly. Il devait encore revenir dans la région pour mater la rébellion du Duc de Montmorency, en participant à la victoire de Castelnaudary (1er septembre 1632). Le 17 octobre il était près de Carcassonne. Lors du franchissement d'une rivière, au pont de Cabouzas, celui-ci s'est rompu en emportant une soixantaine de soldats. La troupe était à Toulouse le 30 octobre, pour assister à la décapitation de Montmorency, dans la cour d'honneur du Capitole.

Lodève s'étant rangé du côté des princes rebelles, se verra contrainte de supporter le stationnement et l'entretien des troupes royales durant de longues années encore. Le château fort de Montbrun sera condamné à la destruction (1634-1638).

Après avoir participé à presque toutes les grandes batailles menées par la France, le Régiment de Navarre deviendra en 1791 le 5ème Régiment d'Infanterie de Ligne. Il servira le pays jusqu'à sa dissolution en 1997.

Lodève écrasée

L'épisode de 1632 n'avait pas été glorieux, ni pour Gaston d'Orléans, frère du Roi et irréductible opposant au Cardinal de Richelieu, ni pour Henri de Montmorency, qui se révéla médiocre comploteur. Il ne le fut pas également pour Lodève qui, encore une fois, avait bravé l'autorité royale.

L'évêque Plantavit de la Pauze ne sut pas s'extraire des traditionnelles allégeances féodales, ni éluder les pressions de la famille de La Treilhe de Fozières et des consuls de la ville, opposés au tour de vis fiscal voulu par Richelieu.

Le 22 septembre 1632 à Montpellier, le Cardinal refuse de recevoir les députés de Lodève venus faire leur soumission. Le chef de la délégation, François de Julien sieur du Cros, doit même s'enfuir précipitamment loin du diocèse et séjourner quelques mois en Limousin. Au mois d'octobre, c'est au tour de l'évêque de quitter Lodève pour se réfugier chez les Récollets d'Avignon où il y restera deux années.

Le tout-puissant ministre a désormais les mains libres pour imposer au Languedoc sa politique et préparer activement la guerre ouverte qu'il souhaite contre l'Espagne et la Maison d'Autriche (1635).

Francis Moreau
2010

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sources imprimées :


Anselme (père) : Histoire Généalogique de la Maison Royale de France, Tome 8, Paris 1733 pp.259-260
Carmona Michel : Richelieu, Fayard1983
Chéruel M.A. : Lettres du Cardinal Mazarin, Tome 2, Paris 1879, pp.213 et 1057
Contenson Ludovic (baron de) : Mémoires du Comte de Souvigny, Tome 1, Paris 1906, note 2 en page 173
Cornat (R.P.) : Histoire de la ville de Ligny-le-Châtel, Sens 1866, pp.217-219 à 221
Courcelles (de) : Histoire Généalogique et Héraldique des Pairs de France, Tome 8, Paris 1827, p.241
Daniel Gabriel, sj : Histoire de la Milice Françoise, Tome 2,Amsterdam 1724, pp.267-270
La Chenaye Desbois : Dictionnaire de la Noblesse, Tome 13, Paris 1783, p.538
L.Lex : Notice Historique sur Lugny et ses Hameaux, Belhomme, Mâcon 1892, p.29
Martin Ernest : Histoire de la Ville de Lodève, Laffite Reprints Marseille 1979,tome 2, pages 70-71
Michaud et Poujoulat : Nouvelles collection des Mémoires pour servir à l'Histoire de France,tome 6,Mémoires du Maréchal de Bassompierre, Paris 1837,pp.293 à 295
Moreri Louis : Le Grand Dictionnaire Historique, Tome 9, Paris 1749, p.184
Pérard : Histoire Générale de Bourgogne, Dijon, 1741. Tome 2, pp.474-475 et 482-485
Susane Louis : Histoire de l'Ancienne Infanterie Française,tome 3, J.Corréard, Paris 1850, pages 1 et 35 note 1 et tome 8, Paris 1853, pp.117-118

Notes :


[1] Henri II de Rohan (1579-1638).
[2] Henri II de Montmorency (1595-1632), Gouverneur du Languedoc.
[3] Pour plusieurs auteurs,le colonel était alors (1621) le demi-frère de Charles : Jacques de Saulx, seigneur de Villefrançon, qui fut tué lui aussi lors du même siège. Pour Louis Susane, repris par le baron Ludovic de Contenson, le "Mestre de Camp" en 1628 est Henri de Saulx (1597-1653), "Marquis de Mirebeau", qui fut commandant des troupes françaises et italiennes à Cazal (1632). Ces auteurs n'identifient pas leurs sources. La confusion pourrait provenir de l'existence d'un éphémère régiment de Tavannes (Henri) entre 1632 et 1648, signalé par Louis Susane dans le volume 8 de son ouvrage, et au moins une lettre du cardinal Mazarin (18 août 1645). Pour l'ensemble des autres auteurs, Henri de Saulx est seulement mentionné comme "capitaine de cinquante hommes d'armes" puis "maréchal de camp". Charles quant à lui est dit "vicomte ou marquis de Tavannes", également "baron de Tavannes". C'est lui qui commandait en 1629 au Pas de Suse le "régiment du marquis de Tavannes".
[4] Le vendredy vingt septième juillet messire Charles de Saux sieur de Tavane viscomte de Ligny baron de Lugny Brancion Touche Liesme, maistre de camp d'un régiment de mille hommes pour le service du Roy en Languedoc, décédé chrestienement au chasteau et maison forte de Montbrun, ses entrailles inhumées a l'entrée du costé de l'esglise st Fulcran, et son corps embausmé porté au sépulcre de ses prédécesseurs de Bourgoigne. Archives Départementales de l'Hérault. Lodève GG1, année 1629 n°342 (1MI EC 142/1).
[5] Charles de Saulx avait épousé Philiberte d'Aucourt et de la Tour-Occors, dame de Lieufranc. Leur fille, Claire Françoise, épousera en 1647 François de la Baume de Montrevel.