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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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De Millau à Saint-Guilhem sur la Voie Roumive du Larzac

 

Pendant une bonne partie du Moyen-âge, le pèlerinage de Saint-Gilles, dans le Gard, fût le plus fréquenté de France et peut-être d'Europe, supplantant son concurrent de Compostelle pendant tout le XIIe siècle. Plus de 2000 églises témoignent encore de nos jours, de la ferveur qu'inspirait aux hommes le culte du célèbre ermite.

La Voie Roumive du Larzac ou Grand Chemin des pèlerins, via peregrinorum était un tronçon de l'antique route de Rocamadour à Saint-Gilles et son tracé bien balisé d'hôpitaux et d'églises, évoque plutôt le souvenir des anciens chevaliers en partance vers Jérusalem que lou cami de Saint-Jacques célébré poétiquement par Georgette Milhau dans son livre Féérie d'une Terre Pauvre.[1]

Après avoir gravi, au sud de Millau, la Coste Roumive, la route longeait l'hospital de la broa prope Amiliavum, c'est-à-dire l'hôpital Saint-Michel (aujourd'hui simple ferme), hospital del cap de la costa romiva, fondé par Guillaume de Pavie au XIIIe siècle. Cet hospice était servi par un personnel laïc, sous l'administration des consuls de Millau.

La Cavalerie

Elle passait ensuite à l'hôpital de l'Avenc, près de La Cavalerie, dont les remparts aujourd'hui restaurés nous rappellent que ce village fortifié fût un haut-lieu Templiers puis Hospitaliers. Les Templiers s'installèrent en ce lieu dès la seconde moitié du XIIe siècle. Ils y construisirent une église dédiée à Notre-Dame. C'est dans leur nécropole, la Place de l'église actuelle, que fût mise à jour récemment la tombe d'un pèlerin, reconnaissable grâce à la présence sur les lieux d'une petite coquille et d'un grelot en bronze, tel que l'on peut en trouver en haut des bâtons de pèlerins ou sur des vêtements civils ou liturgiques.[2]

L'Hospitalet

Le chemin se dirigeait ensuite vers l'Hôpital-Guibert (l'Hospitalet-du-Larzac). En traversant le village d'Ouest en Est vers l'ancienne gare, il prenait le nom de cami romieu chemin des pèlerins. L'Hôpital-Guibert avait été fondé en 1108 par Gilbert, vicomte de Millau, ad honorem Jesus Christi et pauperum sustentationem. A partir de 1174, sa gestion fût confiée à l'abbaye de Cassan. Ce monastère héraultais était né en 1080 pour l'établissement de chanoines réguliers de l'Ordre de Saint-Augustin. Erigé en prieuré royal en 1268, il sera ensuite rattaché à l'abbaye de Sainte-Geneviève de Paris en 1671. Jusqu'à la Révolution, les chanoines administreront l'Hôpital-Guibert.

La Couvertoirade

Passé l'Hospitalet, la route se dirige vers La Couvertoirade, place forte Templière dès 1182, puis Hospitalière à partir de 1312. C'est aux Hospitaliers de Saint-Jean que l'on doit l'enceinte fortifiée actuelle, édifiée en 1439. Là aussi, les Templiers ont aménagé un hôpital. Dans le mur du clocher, les chevaliers de l'Hôpital avaient fait encastrer une plaque de bronze portant l'inscription suivante :

Bonas gens que per aissi passatz
Pregas Dieu per los trepassatz

l'Hôpital Nosseran

Puis le pèlerin se dirigeait vers l'Hôpital Nosseran ou d'Aussaran (commune du Cros) qui bordait la voie dite de la Trégène. La Tragena était le nom populaire donné dès le XIIe siècle à la voie Roumive. L'hôpital avait été fondé aux alentours de 1188 par Claude Alzaram et s'appelait alors l'hospital de Ma Dona S.Maria della Tregena. La famille Alzaram tenait en fief la seigneurie de Pégairolles-de-l'Escalette. En 1136, Pierre Alzaram était un des compagnons de Pons de Léras dans son pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle et au Mont Saint-Michel. Les Alzaram furent des bienfaiteurs de la jeune abbaye de Sylvanès. Hugues et Raymond Alzaram, qui étaient prêtres, furent les inspirateurs du récit de la vie de Pons de Léras par le moine Hugo Francigena.

L'hôpital fût confié aux Hospitaliers d'Aubrac, dont l'église de la Maison-mère était alors consacrée à Saint Gilles. Dans une donation de 1195 aux pauvres de l'Hôpital du Pas de Rodez, il est fait mention de donz Alzaram, que era menistri de l'hospital de ma dona s. maria delle Tregena. Ils furent ensuite remplacés par les Chevaliers de l'Ordre du Saint Esprit de Jérusalem. Cet ordre, fondé vers 1180 par Gui de Montpellier fût réuni à l'Ordre de Saint-Lazare en 1672. Il avait une maison à Lodève. En 1225 l'Hôpital avait pris le nom de son fondateur hospitalis pauperum de Auceran. En 1696 il devait être placé sous l'administration de l'Hôpital de Lodève. L'église de l'Hôpital (transformée en bâtiment agricole) était placée sous le vocable de Sainte-Madeleine.

Les vestiges de l'Hôpital Nosseran sont encore visibles dans les bâtiments actuels de la Bergerie de l'Hôpital non loin des ruines du château de Saint-Michel. Ainsi que l'atteste un mandement de Philippe le Bel du 20 mars 1301, le castrum de S. Mychaele était bien situé sur la voie Roumive qui servait à délimiter les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne, a quodam itinere quod vocatur Peregrinorum usque ad flumen vocatum Virs. En 1331 il est appelé castro de Traiena. Mais ce castrum, sans doute une simple Tour, n'a jamais appartenu aux Templiers comme il est indiqué sur place, il était dans la main des évêques de Lodève. [3]

La Vacquerie

Après un détour vers le vieux sanctuaire de Saint-Geniès de Fours, la route continuait sur La Vacquerie Vaxeria. Les lieux appartenaient aux moines de Saint-Guilhem qui en concédèrent l'alleu aux Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem en 1153 concedit et laudat Hospitali Iherosolimitano totum alodium in Vaxeria. En échange ceux-ci durent s'engager à construire au moins cinq maisons. Les Hospitaliers étaient représentés par Bernard de Pagaz, qui fût Maître des maisons de Bouloc et Lodève. En 1248 l'évêque de Lodève acheta la seigneurie et y fit construire une église.[4]

La Trivalle

Importante halte sur cette route de pèlerinage mais aussi voie commerciale. Hommes et bêtes pouvaient s'y désaltérer à la fontaine Saint-Martin ou à la lavagne des Français laccus Francigenus. Les « Français » sont ces voyageurs et pèlerins qui viennent de Poitiers et de Rocamadour. En 1077, des seigneurs de la lignée des Deux-Vierges et de Montpeyroux donnent un terrain pour y construire une église. Le projet fût transformé en une reconstruction de l'antique église de Saint-Martin-de-Castries.[5]

Saint-Martin-de-Castries et Azirou

Non loin de La Trivalle, l'église Saint-Martin-de-Castries ecclesiam Sancti Martini de Gastrias était réputée pour sa fontaine S.Martini ad fontem, une citerne aménagée dans sa partie occidentale. Elle appartenait à l'abbaye de Saint-Guilhem qui en nommait le Prieur. L'édifice actuel est une reconstruction de la fin du XIe siècle, sur des vestiges antérieurs. Deux grelots semblables à celui de La Cavalerie ont été retrouvés dans le sol. Sont-ils les témoins du passage des pèlerins ? Le chemin roumieux continuait sur Azirou avant de plonger sur Saint-Guilhem-le-Désert par le Pas de l'Escaillou. [6]

Saint-Guilhem-du-Désert

Important monastère, lieu de pèlerinage à la Sainte Croix, mais aussi lieu de traversée du fleuve Hérault, grâce au célèbre Pont du Diable édifié près de Saint-Jean-de-Fos entre 1025 et 1031. Une charte de 1160 témoigne de l'importance qu'avait ce lieu pour les pèlerins mais aussi pour les chevaliers du Temple lorsqu'ils se rendaient de leurs maisons du Larzac vers Saint-Gilles, leur port d'embarquement pour la Terre-Sainte.

C'est ainsi que l'abbé de Saint-Guilhem accorde aux Templiers la moitié de la dîme de Masseval. L'affaire est conclue entre les mains d'Elie de Montbrun, commandeur de Sainte-Eulalie-du-Larzac et maître du Temple en Rouergue : donei la meitat del dezme de Masseval a Deu et a S.Maria et alz fraires del Temple de Jherusalem... Et aizo fo fait e la ma d'Elias de Montbru, al Pont de S. Guilem, a la ecclesia de Saint Joan.[7] Cette route était aussi utilisée, comme les autres routes, pour le transport des marchandises et des troupeaux transhumants. Appelée chemin de la Côte de Saint-Guilhem au XVIIIe siècle, cette voie était la plus courte entre Montpellier et le Rouergue, mais aussi la plus pénible à gravir. Elle fût abandonnée après la création des grandes routes des XVIIIe et XIXe siècles.[8]

Francis Moreau
2010


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Notes :


[1] G.Milhau , Féérie d'une Terre Pauvre,Reschly Montpellier 1969, p.93.
[2] J.Poujol et J.Pujol, Le Vieux Cimetière de La Cavalerie, dans Vivre en Rouergue 13, année 1999.
[3] A.Soutou, L'Hospital de Ma Dona S.Maria della Tregena et L'Hopital des Alzaram sur la Trégène, dans le Bulletin de la Société Archéologique et Historique des Hauts Cantons de l'Hérault, n°17(1994) et n°19 (1996)
.Voir aussi Clovis Brunel , Les plus anciennes chartes en langue provençale, paris 1952, charte 285; Ernest Martin, Cartulaire de La ville de Lodève, Lacour Nîmes 1998 , charte LXX (70) page 101 et G.Alzieu, Les églises de lodève au Moyen-Age, P.Clerc Montpellier 1998.
[4] Alaus et Cassan, Cartulaire de Gellone, Montpellier 1905, charte DVI (506).
[5] Cartulaire de Gellone, chartes CCXIII et CCXIIII (213 et 214).
[6] Cartulaire de Gelone p.178 et 143. Les Cahiers du Lodévois-Larzac n°30, Saint-Martin-de-Castries (collectif).
[7] Clovis Brunel, Les plus anciennes chartes en langue provençale, Paris 1952 , charte n°87.
[8] Emile Appolis, Le Diocèse Civil de Lodève, Albi 1951 , pp.250-274.