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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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Le culte de Saint Michel à Lodève et ses origines Xe-XIVe siècle

 

Premier des archanges, Prince de la Milice céleste, Défenseur de l'Eglise et de la France, saint Michel fût l'objet d'un culte important au cours du Xe siècle, pendant lequel de nombreuses églises et chapelles lui furent dédiées. Il est l'ange qui pèse les âmes au jour du Jugement et qui, guerrier, terrasse le démon caché sous la forme d'un dragon.

Au lendemain du concile de Mayence, en 813, l'empereur Charlemagne en personne consacre saint Michel Protecteur et Prince de l'Empire. C'est dans la lignée de cette tradition carolingienne que l'évêque de Lodève saint Fulcran se situe, en 988, lorsqu'il se place sous la protection de l'archange propugnator, défenseur et premier au combat. En 975, il lui avait consacré le septième autel de sa cathédrale, immédiatement après la Vierge Marie. A la même époque, il avait élevé ou rétabli une église à son honneur et instauré un pèlerinage, dans le hameau appelé Cerclarias.

Saint-Michel-du-Cercle

S'il n'y a plus de doute aujourd'hui pour situer cette église à l'emplacement actuel du prieuré Saint-Michel de Grandmont, il en va autrement de l'interprétation étymologique et historique du toponyme Cerclarias. Nous écartons d'emblée la forme fautive cleucarias (de clericus) qui a donné les Clergues et le mas des Clergues à Saint-Privat.

Pour Dom Fulcrand Hébrard, Cerclarias qu'il transforme en Celclarias, rappellerait Sauclières, de l'occitan Celclaria, celclarèdas : bois de châtaigniers ou lieu de fabrication des cercles de barriques en bois de châtaigniers [1].

Saint-Michel

Y-aurait-il un anachronisme, tant en ce qui concerne l'évolution de l'occitan que dans l'appréciation des structures agraires en lodévois au Xe siècle ?

Les tonneaux de cette époque étaient plutôt cerclés de métal. On ne trouve pas trace non plus de castanéiculture à Lodève avant le XVIe siècle. Il est possible que les moines de Grandmont, aux XIIe et XIIIe siècles, plantèrent des châtaigniers sur leur domaine, mais cela deux siècles après saint Fulcran ! On sait que d'importantes plantations furent réalisées à Soumont au début du XVIIe siècle, mais ce fût toujours une culture mineure et l'étendue de bois cerclier ne dépassait pas une centaine d'hectares en 1626. Pour cette époque, Emile Appolis parle d'une extension récente [2].

Il nous reste alors à nous pencher sur le sens le plus traditionnel du nom Cerclarias, celui de cercle, du latin classique circulus. Comment ne pas penser à la légendaire fondation du premier sanctuaire dédié à saint Michel sur le Mont Tombe. En arrivant sur le mont, l'évêque Aubert découvre un taureau attaché, qui en tirant sur sa longe décrit un cercle sur l'herbe humide. Cette scène évoque un espace sacré circulaire de l'époque mégalithique (cromlech). Quant au taureau, il nous fait penser au taureau (représentant le Mal) sacrifié à Mithra, dieu solaire protecteur des bons. Le culte de Mithra (très populaire dans les armées romaines) se célébrait dans des grottes. Sur le Mont Gargano, c'est dans une grotte que saint Michel s'est manifesté. L'église construite par Aubert, suivant le tracé circulaire laissé par le taureau, représentait elle aussi une grotte.

Il n'y a pas de grotte visible aujourd'hui sur le site de Saint-Michel de Grandmont. Mais il est situé sur une colline et au coeur d'une zone exceptionnellement riche en mégalithes : les Tres peyras, Petra cabucelada, quatre dolmens placés sur la même ligne, La Bruyère d'Usclas, qui témoignent assez de l'importance de ce lieu pour nos ancêtres de la culture des Ferrières et ceux qui leur ont succédé, à l'époque chalcolithique puis à l'âge du bronze. Comment n'y aurait-il pas eu sur ce Mont un cercle, peut-être un observatoire pour suivre les cycles du soleil ? Près de la chapelle du Mont Saint-Michel à Saint-Jean-de-Saverne en Alsace, on trouve aussi un large disque creusé dans le roc, appelé communément rond des sorcières. Cet ouvrage est daté de 3000 ans environ et on pense être ici en présence d'un lieu de culte celtique. La situation est identique sur le Mont-Sainte-Odile. L'actuelle chapelle des Anges du monastère, dédiée à Saint Michel, est située sur un promontoire entouré par un mur celtique, le mur païen, qui évoque lui aussi un large cercle autour du sanctuaire. On peut penser également à l'antique chapelle Saint-Michel (VIe siècle) du tumulus de Carnac. Il existerait donc un lien étroit entre la figure du cercle et le culte à l'Archange.

Si cette hypothèse n'est pas trop hasardeuse, nos ancêtres Celtes ont probablement utilisé le même lieu pour y célébrer le dieu Lug (qui conduit les âmes des morts), puis le Mercure gaulois, analogue à Gargan : Defensor et Victor. L'étrange ouverture en porte de four du dolmen de Coste Rouge fait penser aux églises du bordelais consacrées à Saint-Michel. Plusieurs de ces églises avaient en effet un trou par où on passait des malades, adultes ou enfants, dans l'espoir d'une guérison ou pour leur donner longue vie grâce à l'intercession de l'archange saint Michel. Ces trous, comme la particularité du dolmen font songer à une grotte....

Ainsi, dans la pensée de Fulcran, en substituant l'Archange saint Michel à Lug et à Mercure, il s'agissait avant tout de détourner un culte superstitieux, probablement en usage sous la forme d'un folklore local, vers une foi plus pure.

L'Archange se situe à la confluence chrétienne de plusieurs mythes païens. Il est assimilé à Bélénus, dieu celte. Il est aussi assimilé à Gargan, dieu pré-grec dont Rabelais fera Gargantua. Il est assimilé, on l'a vu, à Mithra, dieu oriental importé en Gaule par les soldats romains. Enfin, comme Gargan (on pense au Monte Gargano en Italie), il aime l'altitude. C'est à la fois l'ange des grottes, des monts et des clochers !

Saint Michel, Prévôt du Paradis qui conduit les morts et pèse leurs âmes, défenseur et combattant qui vainc le dragon, ange solaire qui combat les ténèbres, était tout indiqué pour succéder à Lug , Mercure et Gargan.

Le prieuré Saint-Michel de Grandmont

Il ne reste rien de la primitive église consacrée par Fulcran. Elle fût probablement réédifiée et peut-être agrandie au début du XIIe siècle comme en témoigne cette inscription en caractère roman gravée sur une pierre réemployée pour la chapelle du XIVe siècle : CONSECRATA EST HAEC AULA XI KL. JUNII IN HONORE SCI MICHAELIS ARCANGELI.

On ne sait ni quand, ni par qui fût fondé le prieuré Saint-Michel. Son existence est attestée en 1189 à propos d'un miracle accompli par Saint Etienne de Muret. Une dame vient en pèlerinage et offre une statue de cire au monastère pour remercier le saint d'avoir ressuscité son fils : Audivimus siquidem quod in lodovensis episcopatu quendam puerum Deus per eum suscitaverit, cuius imago cerea apud quandam domum nostram, quæ dicitur S. Michælis, delata est, ubi in memoriam tanti miraculi in ecclesia conservatur ac demonstratur. Cet ex-voto représentait une image de l'enfant en grandeur naturelle [3].

L'ordre de Grandmont était né du grand mouvement de réforme monastique du XIe siècle qui devait entraîner la rénovation d'établissements anciens, tel Cluny, ou bien la création d'ordres nouveaux, comme Cîteaux, ou la Grande Chartreuse. La Règle de Grandmont était des plus sévères. Elle imposait la solitude absolue et le refus de toute fonction paroissiale. Les « celles », nom donnés aux monastères grandmontains, étaient fondées le plus souvent dans les endroits déserts ou au milieu des bois, qui formaient comme une clôture naturelle. Le site de Saint-Michel répond parfaitement à ces critères. Les moines durent rebâtir une église plus proportionnée au nouvel usage qu'ils allaient lui donner et l'intégrer dans le corps des bâtiments conventuels. Les laïcs ne pouvant entrer dans le monastère, on leur aménagea un porticum contre la façade nord de l'église. Ce n'était qu'une galerie en bois qui servait d'abri aux fidèles et de parloir. Cette galerie couvrait aussi la porte de l'antique sanctuaire dédié à l'Archange dont elle constituait en quelque sorte un prolongement. Un frère était spécialement chargé d'assurer les célébrations dans cette chapelle, sous l'autorité de l'évêque de Lodève : Ecclesia Sancti Michaelis sita est in monte ubi est prioratus ordinis Grandimontis.... Prior autem tenetur presentare episcopo curam recipiat animarum, qui tenetur venire ad synodos. Item unus capellanus, frater dicti ordinis, tenetur celebrare in altari Sancti Michaelis archangeli in capella juxta majorem ecclesiam singulis diebus ter in hebdomada pros vivis et ter pro defunctis pro animabus episcoporum Lodovensium et pro illis qui sunt vel erunt de capitulo Lodovensi... Cette prescription de Guilhem de Caselles (1251-1259), montre combien les évêques de Lodève au XIIIe siècle, étaient toujours attachés au culte de saint Michel et à maintenir vivant son pèlerinage [4].

En 1335, l'Abbé du monastère de Nant, Bérenger de Vailhauquès (1313-1336), reconstruit entièrement la chapelle et en fait un sanctuaire principalement dédié à saint Michel conducteur des morts et peseur de leurs âmes. C'est un petit édifice rectangulaire, flanqué de contreforts massifs et voûté intérieurement d'ogives. Il était avant tout destiné aux pèlerins et aux laïcs qui ne pouvaient pénétrer dans l'église conventuelle.

Saint-Michel dans la cathédrale

On a vu précédemment que depuis l'an 975, la cathédrale de Lodève abritait un autel consacré à l'Archange saint Michel. C'est au cours de l'épiscopat de Jacques de Concots (1318-1322), futur archevêque d'Aix-en-Provence, que fût achevé le clocher lourd et massif qui du haut de ses 57 mètres, domine toujours la ville de Lodève (1320). Saint Michel est représenté parmi les quatre statues qui ornent ce clocher, en compagnie de saint Genès, saint Fulcran et saint Flour ou saint Amans. A la base du clocher, fût aménagé une vaste chapelle, entièrement consacrée à l'Archange. Depuis longtemps les évêques de Lodève vénéraient particulièrement l'ange du Paradis et c'est presque naturellement qu'ils choisirent ce lieu pour y édifier leurs sépultures épiscopales.

Saint-Michel dans le diocèse de Lodève

Notons enfin que pas moins de cinq églises du diocèse étaient dédiées à Saint-Michel. Trois églises sont celles de châteaux couronnant des éminences : Saint-Michel du Puech, Saint-Michel d'Aubaigues, Saint-Michel d'Alajou (castro de Traiena). Deux autres se situent sur des collines : Saint-Michel de Sauclières (ou du Cercle) dont nous avons parlé plus haut et Saint-Michel de Domasan à Nébian.

Les Romieux de Saint-Michel

A Lodève, on vient de le voir, le culte porté envers saint Michel à toutes les allures d'un culte à caractère épiscopal. Mais il fût aussi un culte populaire, surtout auprès de la jeunesse. La chronique de Montpellier se fait l'écho de cet engouement pour l'Archange-Hermès : Les enfants de onze, douze, treize, quatorze et quinze ans partent nombreux tant de Montpellier que du royaume de France, mais aussi d'autres royaumes et pays, pour aller au Mont-Saint-Michel en normandie . [5] En 1441, ce sont des jeunes de Millau qui partent en cortège derrière une bannière portant l'insigne de saint Michel entre deux fleurs de lys, au-dessus cette inscription Les Romieux de Millau. [6] On notera aussi que le miracle de 1189 attribué à Saint Etienne, concerne un enfant (puerum) et qu'un transfert de pouvoir a pû être opéré par le rédacteur du De Revelatione, de saint Michel vers Etienne de Muret, afin de promouvoir sa canonisation.

... et in veneratione sancti Michaelis archangeli, ut ipse in egressu animæ me accipere pius propugnator occurat. [7]

Francis Moreau
2009

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Sources Principales :


Appolis Emile : Le Diocèse Civil de Lodève,Albi 1951
Becquet Jean : De Revelatione ch. 28, Scriptores Ordinis Grandimontensis, Turnhout 1968
Bourquelot Félix : Notice sur le Prieuré Saint-Michel de Grandmont,Mémoires de la Société Nationale des Antiquaires de France 21 3e série tome 3, Paris MDCCCLII
Bourin-Derruau Monique : Villages Médiévaux en Bas-Languedoc, L'Harmattan 1987
Curtius Andreas : Die Kathedrale von Lodève und die entstehung der Languedokischen Gotik, Hildesheim : Olms, 2202
Dontenville Henri : La Mythologie Française, Payot 1948
Drouin Jean-Claude : Observations sur le culte de saint Michel,Saint-Emilion Libourne, la religion populaire en Aquitaine, Actes du XIXe congrès d'Etudes régionales de la Fédération Historique du Sud-Ouest, Avril 1967, pp.159-174
Faure Philippe : L'Ange du Haut Moyen Age Occidental (IVe-IXe siècles), Médiévales, 1988, vol 7 n° 15 pages 31-49
Hamlin Franck R. : Les Noms de lieux du Département de l'Hérault, Millau 1983
Larigauderie Beijaud Martine : Grandmont: de l'ermitage à la seigneurie ecclésiastique: 12e-18e siècles, Thèse, Poitiers 2004
Martin Ernest : Histoire de la ville de Lodève, Genève 1979
Mazel Elie : Nant d'Aveyron, Lacour Nîmes 1997
Mercadier Jean : Un diocèse Languedocien Lodève Saint-Fulcran, Maury Millau 1975
Péricard-Méa Denise : Les Pèlerinages au Moyen-Age, Gisserot 2002
Revue Etudes sur l'Hérault : L'ordre de Grandmont "Art et Histoire", Hors Série 1992
Vidal Henri : Un évêque de l'An Mil, Montpellier 1999

Notes :


[1] Gérard Alzieu, Les églises dans l'ancien diocèse de Lodève au Moyen-Age, éd.Pierre Clerc, Montpellier 1998, page 144.
[2] Emile Appolis, Le Diocèse Civil de lodève, Albi 1951, page 433.
[3] De Revelatione, Patrologie latine, t.204, ch.28, col.1065.
[4] J. Rouquette, Livre Vert, cartulaire de l'Église de Lodève, Montpellier 1923, page 23. Pour Ernest Martin, il est fait allusion dans ce texte à la chapelle Saint-Michel de la cathédrale. Dans ce cas la chapelle Saint-Michel, qui supporte le clocher, aurait été une construction de la première campagne d'édification de la cathédrale au XIIIe siècle. De récentes études confirmeraient cette hypothèse. Voir: Barrenechea Laurent : La cathédrale St-Fulcran de Lodève, joyau de l'architecture gothique en Languedoc, Mémoire de fin de IIe cycle, École d'Architecture du Languedoc-Roussillon, session de juin 2001.
[5] Société Archéologique de Montpellier, Le Petit Thalamus de Montpellier, Jean Martel aîné impr. Montpellier MDCCCXI, page 424.
[6] Revue du Rouergue 1963, vol. 17 à 18, page 52.
[7] Testament de Fulcran (4 février 988), dans Henri Vidal, "Un évêque de l'an Mil, Saint Fulcran, évêque de Lodève", Mémoires de la Société Archéologique de Montpellier, Tome XXII, 1999, page 154.