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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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Villa « La Tardière » aux Sables-d'Olonne

 

Façade de la villa La Tardière
De gauche à droite: Oriola, La Tardière, Fleurett' promenade Georges Godet sur Google Maps.

« La Tardière », 25 promenade Georges Godet, sur le Remblai. Voilà un nom de villa énigmatique pour de nombreux sablais, qui fut en son temps l'objet d'un article savant du regretté Marcel Jaud [1]. Mais de nouvelles investigations nous conduisent à réactualiser nos connaissances sur cette villa, ses habitants et bien sûr son nom.

Une villa balnéaire

Édifiée aux alentours de 1918-20, cette villa de style chalet conjugue dans sa construction l'emploi de la pierre de schiste et du béton armé en modénature, procédé qui permet d'imiter le décor éclectique des premières villas des Sables. Elle est insérée dans une triade de villas élevées à la même période, voire au même moment: « Oriola », « La Tardière », « Fleurett' ». Mais faut-il ajouter aussitôt que « La Tardière » n'est pas son appellation d'origine. Les vieux sablais, mais combien sont-ils aujourd'hui ? ont connu la villa sous le nom de « La Bouée ». Elle appartenait autrefois et peut-être même dès son origine à une vieille famille sablaise bien connue, celle des Guimbretière [2].

C'est donc à Mr André Pouzin, de la Varenne St-Hilaire, près de Paris, qu'il revient d'avoir baptisé « La Bouée » qu'il avait achetée: « La Tardière ».

La Tardière

Église Sainte-Quitterie de La Tardière
L'église Sainte-Quitterie de La Tardière par Éduarel, Wikimedia Commons, (CC-BY-SA-3.0).

La Tardière est un petits bourg du bocage vendéen, près de La Châtaigneraie, le chef-lieu du canton. Rien ne permet d'assimiler l'Ostarderia du XIIe siècle avec l'Outardière, le pays des outardes, qui vient du latin avis tarda (oiseau lent). D'aucuns préfèrent invoquer le latin « tardus » qui signifie « lent ». Tout cela est sans doute plus imagé, plus poétiquement rural que vrai.

Le peuplement y est très ancien. A la Brossardière, il y aurait eu un ancien oppidum celtique (lieu fortifié) sur une hauteur dominant un ruisseau. Dans le bourg, au sommet d’une petite éminence, la tradition orale situe là un forum gallo-romain. Il existait une motte féodale à la Bouchatière (petit bois, bosquet) ; c’est un ancien lieu de défense qui a la forme d’un petit monticule conique de 10 à 12 mètres de largeur à la base et de 4 à 5 mètres de hauteur.

On a trouvé des outils en silex à l’Etruyère, à la Brossardière, à la Grande-Cantière. Au Puy Limousin (ancien oppidum) on a découvert une hache en silex blond. Elle se trouverait au musée des Sables-d'Olonne [3].

Au Moyen-âge, il existait des seigneuries dont les principales sont celles du Bourg-Bastard, avec la famille Chasteigner au XIVème siècle et les d’Asnières au XVIIIème siècle ; le fief de la Brossardière dont le maître, en 1567, est Charles de la Forêt, seigneur de Vaudoré [4].

Ce bourg agricole était assez industrieux autrefois, de nombreux tisserands y travaillaient pour les marchands de La Châtaigneraie. Assurément il y avait là plusieurs familles portant le nom de Pouzin, les uns agriculteurs, les autres marchands. C'est de ces derniers que la famille de Mr André Pouzin descend. Mais André Pouzin se vantait quelque peu en faisant état de sa parenté avec les Rabutin-Chantal.... [5]

Les Pouzin

L'ancêtre de la famille s'appelait Pierre Pouzin. Il ne venait pas de l'Ardèche comme l'affirme la tradition familiale, mais bien de La Tardière, précisément du lieu dit Bouchereau où il exerçait la profession de foulon.

Le terme signifie que Pierre dirigeait le moulin à foulon de Bouchereau. Le travail du foulonnier consistait à malaxer et frapper les étoffes en les baignant dans de l’eau additionnée de diverses substances, pour les feutrer, les assouplir, les rendre imperméables et en assurer la finition. On ajoutait à l’eau de l’argile, et pour finir de l’urine humaine qui assurait le nettoyage final et le blanchiment.

Le père de Pierre, Antoine Pouzin, devait décéder le 8 août 1694 à l'âge, vénérable pour l'époque, de quatre vingt sept ans. De son épouse Françoise Talon qu'il avait épousée en 1685, Pierre Pouzin eut au moins trois enfants. Jean, né le 12 novembre 1692 devint marchand. Il faisait commerce des étoffes avec le Canada, principal débouché à l'époque pour les tisserands de La Châtaigneraie. Il y avait alors deux cent cinquante métiers que manœuvraient deux mille ouvriers. Pas moins de soixante douze tisserands travaillaient à La Tardière. On y dénombrait aussi douze texiers (tissage des toiles de lin pour confectionner les voiles de marine), trente neuf sergetiers, dix-huit tondeurs et cinq foulonniers. Il se fabriquait des cadis et des serges qui se vendaient à La Rochelle et à Nantes, d'où ils passaient au Canada. Près de quatre vingt marchands-fabricants, tous bourgeois, veillaient sur cette main d’œuvre. Leur influence était grande, maîtres qu'ils étaient de l'emploi et des richesses acquises par le commerce.

Jean Pouzin devait mourir le 11 février 1745 [6], non sans avoir donné auparavant sept enfants à son épouse Jeanne Bichon. Parmi ceux-ci, Jean (1720-1776) [7] qui vint s'établir à La Châtaigneraie. En 1757 celui-ci sera nommé garde-juré par l'assemblée des fabricants de La Châtaigneraie, Cheffois et Mouilleron [8] . Il était enjoint aux gardes-jurés de veiller à faire de fréquentes visites sur les métiers et dans les autres ateliers. Il avait épousé Marianne Bobineau (décédée le 4 janvier 1786).

La guerre de Vendée 1793-1794

Des six enfants de Jean et Marianne Bobineau qui nous sont connus [9], nous distinguerons Pierre Pouzin (1753-1841) qui fut notaire à La Châtaigneraie et Joseph Sylvestre (1764-1793), qui périt durant les combats de La Châtaigneraie et la prise de la ville par la Grande Armée Catholique et Royale (le 13 mai 1793) [10].

La ville avait été attaquée par trois colonnes de l'armée vendéenne. La Châtaigneraie prise, les Vendéens abattirent la guillotine et se précipitèrent sur les prisonniers pour venger leurs amis, ils en tuèrent un certain nombre malgré la proclamation de leurs chefs: «Il est expressément défendu de rien prendre ou piller chez les habitants de cette ville...». Des passeports furent délivrés aux prisonniers dans l'intention de les protéger. Joseph Sylvestre n'eut pas la chance de pouvoir en profiter.

Henri de La Rochejacquelein au combat de Cholet en 1793
Paul-Emile Boutigny, Henri de La Rochejacquelein au combat de Cholet en 1793, Musée d'art et d'histoire de Cholet.

Quant à Pierre Pouzin il cumulait, avant la Révolution, sa charge de notaire avec celle de Procureur au bailliage de Vouvant. Républicain de raison, il devint Commissaire Municipal et Avoué près du Tribunal du District. Un temps victime des calomnies d'un « enragé », il dut justifier de sa bonne foi républicaine devant notaire et faire rendre gorge à son détracteur:

« ledit citoyen Lebel a reconnu et reconnoit par ces présentes les citoyens Geslin et Pouzin pour bons républicains d’honneur et de biens, que c’est méchamment et calomnieusement qu’il leur a imputé d’être brigands, qu’il l’a annoncé publiquement, et qu’il leur a dénoncé comme tel au général commandant la force armée campée sous les murs de cette cité, qu’il se repend de l’injure qu’il leur a faite à ce sujet et les prient de recevoir son excuse avec protestation de ne plus à l’avenir leur faire secrètement ny publiquement aucune imputations déshonnêtes tendante à les calomnier et à altérer la confiance qu’ils méritoient et dont ils ont toujours jouis à juste titre… » (acte du 8 août 1794) [11]

Cette démarche visait à mettre les deux calomniés à l’abri d’accusations qui auraient pu, sinon les envoyer à la mort, nous étions à cette date (21 thermidor an II) au lendemain des événements de Thermidor, au moins les expédier en prison ou leur causer de douloureux tracas.

Si les Pouzin de La Châtaigneraie étaient républicains, il n'en était pas de même d'un cousin du Breuil-Barret, gros bourg non loin de La Tardière. Ce Pierre Pouzin (1755-1794), fut exécuté à Niort le 19 mars 1794. Le jugement le condamnant stipulait « que ledit Ponsin (sic) a pris part aux révoltes et émeutes contre révolutionnaires qui ont affligé le département de la Vendée... en qualité de chef et d'instigateur: 1° ayant été membre du comité établi par les rebelles au Breuil-Barret 2° étant allé en armes avec son cheval à la tête d'un nombreux détachement desdits rebelles à Coulonges, qu'y pillèrent en plusieurs maisons et emmenèrent différentes personnes prisonnières, notamment la citoyenne Guichet femme du citoyen Charrier maire de Coulonges et avoir mis en croupe sur son cheval ladite Guichet 3° d'être marché avec les rebelles sur Fontenay le peuple lorsqu'ils s'en emparèrent 4° d'être marché encore à la tête d'un grand rassemblement sur la commune de la Chapelle aux lys et d'avoir tenus divers propos contre révolutionnaires..... Le Tribunal condamne ledit Ponsin (sic) à la peine de mort. » [12]

De Fontenay... aux Sables

Henry Louis Pouzin (1756-1823) [13], un autre fils du couple Pouzin/Bobineau, s'était établi poêlier à Fontenay-le-Comte. Il dut prendre successivement trois épouses: Jeanne Couturier, décédée le 18 février 1794 à Fontenay; Roze Ollivier, décédée le 19 mai 1803, elle aussi à Fontenay; et enfin Marie Anne Seguin, qui était née à Mervent le 3 septembre 1774. De sa seconde épouse il eut cinq enfants, tous non-déclarés et qui le seront seulement à l'occasion de son troisième mariage, le 15 décembre 1818 [14]. Sa troisième épouse, Marie Anne Seguin, à l'âge de 46 ans ! lui donnera un ultime fils: Auguste Adolphe, né à La Tardière le 6 mai 1820 !

Auguste Adolphe, qui prendra le métier de coutelier, épousera Julie Anastasie Prunier. Leur fils Alphonse, qui avait épousé Florentine Muzard, sera le père de André Pouzin. Ils auront également une fille: Marie Augustine. Elle épousera Jean-Baptiste Lafargue et deviendra la mère de l'amiral Maurice Lafargue (1885-1967) bien connu aux Sables. Une portion du Remblai porte aujourd'hui son nom.

Francis Moreau
2019

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Notes :


[1] Une villa sur notre Remblai: "La Tardière", dénomination certes peu...commune !" in revue Olona n°103, 1983,p.4-5.
[2] Les sablais connaissent le coureur cycliste Marcel Guimbretière (1909-1970).
[3] Michel Albert, "La Tardière Les Chemins de l'Histoire", Geste Editions, 79260La Crèche, 2001.
[4] Site internet de la mairie de la Tardière: https://latardiere.fr/.
[5] "...notre aïeul s'était marié trois fois et sa dernière femme, à la Révolution, était une Rabutin-Chantal, de la famille de la Marquise de Sévigné." Rapporté par Marcel Jaud.
[6] Archives de la Vendée Registres de La Tardière AC289 année 1692 vue177/178 et année 1745 vue 282/334. Le mariage de Pierre AC289 année 1685 vue 122/178.
[7] Archives de la Vendée, registre BMS de La Tardière AD2E289/4, année 1818 acte 61; AC289, Années 1707-1721, vues 140 et 177/179. Enfants du couple Pouzin/Bichon: Jacques (qui épousera Marie Anne Baudet en 1748); Pierre, né en 1722 (il épousera Marie Angélique Ribouleau); Jeanne-Roze (elle épousera Alexandre Ribouleau); Marie-Jeanne (épouse de Pierre Pouzin des Moustiers sous Chantemerle dans les Deux-Sèvres); Jeanne (elle épouse Pierre Couturier en 1754); Jean, né le 12 septembre 1720; Pierre François, né en 1718.
[8] Abbé Louis Teillet, "Histoire de La Châtaigneraie", dans Monographie des Villes et Villages de France, Le livre d'histoire-Lorisse, Paris 2003.
[9] Marie-Thérèse; Aimée Prudence; Jean-Pierre; Pierre; Joseph-Silvestre; Henry-Louis (BMS de la Châtaigneraie AD2E059/3, année 1786.
[10] Archives de le Vendée, registres de La Châtaigneraie, AD2E059/3, vue 3/12. Sur la prise de La Châtaigneraie, voir Bernard Gendrillon, "La Châtaigneraie Vendée", Le Poiré-sur-Vie avril 1994. Voir aussi le rapport du général républicain Chalbos: "La troupe de brigands que nous avons combattue aujourd'hui ne ressemble pas à celles que nous avons vues jusqu'ici. Ce sont d'autres hommes, une autre tactique, d'autres moyens. Un feu de file, extrêmement bien servi par nos troupes, a été très bien répondu par eux, et ne les a pas arrêtés un moment." L'administrateur républicain Mercier du Rocher note cependant que " ... ils (les brigands) passèrent deux jours à piller La Châtaigneraie." Charles-Louis Chassin, "La Vendée Patriote 1793-1800", Tome I, imprimerie Paul Dupont, Paris 1893 et Joseph Floch, imprimeur-Éditeur, Mayenne, 1973, pages 327 et 345.
[11] Minutes de Gabriel Vincent Chenuau, notaire de la Baronnie du Puy du Fou, aux Épesses, années 1790-an VIII, acte du 21 thermidor an II passé à La Châtaigneraie, Archives de la Vendée 3E65/27-1, vue 295/726.
[12] Archives de la Vendée, Archives de la guerre de Vendée, Tribunal criminel de Niort,jugement du 14 germinal an II (9 avril 1794), ANBB3/15-43.
[13] Son décès le 26 décembre 1823, Archives de la Vendée, registres BMS de Fontenay-le-Comte, année 1823, AD2E092/47, acte n°215. Il est mort à l'Hôpital Civil. Il n'est aucunement fait mention d'un emploi de Grand Maître des Diligences de la Vendée pour cet aïeul qui était poêlier à Fontenay-le-Comte (voir l'article de Marcel Jaud dans la Revue Olona n°103).
[14] Archives de la Vendée, registres de La Tardière, AD2E289/4, année 1818, acte 61. Les cinq premiers enfants sont: Marie Geneviève, née le 20 juillet 1805 à la Frionnerie de la Tardière (Bourg-Bâtard); Pauline, née le 16 octobre 1809 à la Frionnerie; Henry Louis Prodigue, né le 17 mai 1811 à la Frionnerie; Pierre Silvestre Auguste Henri, né le 28 janvier 1815 à Fontenay-le-Comte; Jean Alexis, né le 11 mars 1818 à La Frionnerie.