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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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Les Guillem de Clermont : Aux origines de la suzeraineté des évêques de Lodève

 

Si l'origine des Guillem de Clermont est obscure, mystérieuse aura été leur entêtement dans le refus de rendre Hommage[1] à leurs suzerains naturels, les évêques de Lodève. En réalité, ce mystère n'est qu'un voile léger sur une transformation qui s'opérait ouvertement, et parfois dans la douleur, en ce XIIIe siècle heureux. Par la Loi et par la Guerre, on pouvait voir se défaire peu à peu la féodalité des temps passés. Le siècle de Saint-Louis fut celui où un ordre nouveau, fondé sur le droit, et donc sur la personne royale, allait remplacer un ordre ancien fondé sur la primauté de l'insécurité.

La Maison de Montpellier

Dans la première moitié du XIIe siècle, les Guillem de Clermont font partie de l'entourage des seigneurs de Montpellier. Leur domaine de Clermont était le siège d'une coseigneurie privée, chaque famille se partageant une portion du château et des droits qui y étaient attachés. En 1130, Guillem de Clermont est cité parmi les témoins qui ratifient les accords passés entre Guillem VI de Montpellier et le comte de Melgueil au sujet de la monnaie melgorienne[2]. En 1142, Aimeri de Clermont reçoit le domaine de Paulhan, des mains de Guillem VI, contre un prêt de 8500 sous melgoriens et 30 marcs d'argent fin[3]. Enfin, en 1160 Pierre Raimond de Montpeyroux ainsi que Bérenger et Pons de Vailhauquès donnent la châtellenie de Clermont en alleu à Guillem VII, avant de la reprendre en fief, lui rendre l'Hommage et prononcer le serment de fidélité[4]. C'est donc au cours de cette période que la totalité de la seigneurie de Clermont est placée sous la suzeraineté des seigneurs de Montpellier. A la même époque, lors d'une donation identique de la châtellenie de Nébian, on trouve Pierre de Clermont et Pierre Raimond de Montpeyroux parmi les témoins de l'acte[5]. La donation en alleu, suivi de la reprise en fief, puis du serment, constituait une sorte d'insertion dans une pyramide de pouvoirs. Mais cette reconnaissance de l'autorité n'allait pas toujours sans condition. Signe de la puissance de ces vassaux, ils donnent la châtellenie à condition que le seigneur suzerain ne puisse pas constituer sur ce fief d'autre seigneur que lui-même ou son héritier. Il s'agit là ni plus ni moins qu'une interdiction d’aliéner la seigneurie supérieure : nullum alium Dominum in hoc feudum nobis constituere possis, preter heredem, seu successorem tuum, Montispessulani dominum.

Ce lien entre les Guillem de Clermont et les seigneurs de Montpellier sera encore une fois mis en évidence en 1182, avec le mariage d'Aimeri de Clermont et de Marie-Navarre de Montpellier, fille de Guillaume VII et de Mathilde de Bourgogne[6].

Jusqu'en 1215, nous ne voyons pas les seigneurs de Clermont rendre Hommage à l'évêque de Lodève, sauf pour des domaines annexes comme au Bosc, aux Plans, à Saint-Privat et à Salasc. Nous devons écarter les dates de 1172 et 1188 pour des serments que les auteurs de l'Histoire du Languedoc mettent en doute[7]. De toute façon il n'y a pas, dans ces serments, de mention du château de Clermont.

La Maison d'Aragon

En 1203, le roi d'Aragon épouse Marie de Montpellier, fille de Guillem VIII et héritière de la seigneurie de Montpellier. Dans la guerre contre les albigeois (1208-1229), Pierre II d'Aragon, le nouveau suzerain de Clermont, prend le parti du comte de Toulouse et se laisse entraîner jusqu'à la bataille de Muret (1213) où il trouve une mort brutale[8]. Aimeri de Clermont, qui avait soutenu Raymond Roger, le vicomte de Béziers, et s'était emparé des biens de l'Église se voit quant à lui excommunié. L'évêque de Lodève a assisté à la défaite du parti toulousain et dès ce moment il cherche à s'affranchir de la maison de Toulouse. Les temps sont favorables. L'effondrement des comtes de Toulouse, l'effacement des seigneurs de Montpellier qui n'avaient pas d'importance politique propre, leur absorption par la maison d'Aragon qui repousse la seigneurie de Montpellier bien loin de l'épicentre du royaume, sans compter l'extrême jeunesse du nouveau roi Jacques 1er, tout cela ne pouvait que faciliter la longue entreprise d’accaparement des fiefs, par des évêques ambitieux et jaloux de leur indépendance. Déjà, en 1188, l'évêque Raymond Guillem de Montpellier avait racheté les droits des comtes de Rodez, qui avaient succédé aux anciens Vicomtes de Lodève[9]. En 1192, Raymond V de Toulouse lui avait donné tous les droits féodaux qu'il possédait dans le diocèse[10]. Cette cession avait même été confirmée par le vicomte de Narbonne, Pierre Lara[11]. L'évêque n'avait qu'à attendre pour voir tomber dans son escarcelle la seigneurie de Clermont.

La maison de Toulouse

A la mort de Pierre II d'Aragon (1213), Clermont est donné au comte de Toulouse. Mais celui-ci se voit bien vite dépossédé de ses domaines qui sont remis à Simon de Montfort, en même temps que la garde du roi-enfant Jacques Ier d'Aragon (1214)[12]. Un peu plus tard, Simon cède les droits qu'il pouvait avoir sur le diocèse de Lodève, notamment Clermont, à l'évêque Pierre Raimond de Montpeyroux (1215)[13].

Les évêques de Lodève

En juillet 1215, le roi de France Philippe Auguste enjoint à Aimeri de Clermont de prêter le serment de fidélité à l'évêque de Lodève[14]. L'ordre est réitéré en avril 1216. Au mois de février 1224, Amaury de Montfort, fils de Simon, incapable de garder le comté de Toulouse, cède ses droits au roi de France Louis VIII[15]. L'évêque de Lodève est désormais le seul maître dans son diocèse, sous l'autorité du roi.

Les Guillem de Clermont subissent cette sujétion à l'évêque comme une contrainte insupportable. Leur fidélité va spontanément aux anciens suzerains. En 1219, Aimeri de Clermont est témoin d'un acte de Raimond le jeune, bientôt comte de Toulouse[16]. Dix ans plus tard, Guillem de Clermont accompagne Jacques Ier d'Aragon dans sa conquête de Majorque[17].

En 1239, Aimeri de Clermont est excommunié pour avoir refusé une nouvelle fois de rendre Hommage à l'évêque[18]. Plus grave encore, il choisit de se ranger aux côtés du comte de Toulouse Raymond VII qui tente de secouer le joug royal. Celui-ci a un représentant qui organise la défense de l'ensemble des châteaux placés dans sa mouvance. Il s'agit de son viguier et homme de confiance, Pierre de Toulouse[19]. Très souvent en visite à Clermont, Pierre de Toulouse y est accueilli et protégé par Aimeri. L'évêque de Lodève s'en émeut fort et demande avec instance la protection du Légat Pontifical, Jacques de Pecoraria[20]. S'ensuivra la désastreuse rébellion du comte de Toulouse qui s'acoquine avec les barons du Poitou, le comte de la Marche et même le roi d'Angleterre Henri III. Raymond VII parviendra à s'emparer de Narbonne et Albi. Mais cette révolte se terminera mal pour ses protagonistes. Les conjurés sont défaits à Taillebourg (1242)[21]. Le comte de la Marche, Hugues de Lusignan sera déchu, le roi d'Angleterre vaincu, le comte de Toulouse lâché par son complice le comte de Foix. Aimeri et ses frères seront de nouveau excommuniés[22].

La fin des conflits avec le roi ou l'évêque ne signifiera pourtant point la fin des punitions à l'encontre des seigneurs de Clermont. Ceux-ci étaient trop imbus de leur pouvoir pour accepter la moindre entrave à leurs entreprises. Mais avaient-ils un si grand pouvoir ? En réalité, ils étaient bridés par une circonstance incontournable: ils n'étaient pas les barons tout-puissants de Clermont, mais n'en avaient que la coseigneurie. Le château n'était pas entièrement à eux. Ils devaient le partager avec d'autres familles seigneuriales, dont les Montpeyroux. Le recteur de Gorjan disposait même d'un cellier dans le château pour y entreposer sa vendange. En 1253, l'évêque Guillaume de Caselles devra de nouveau excommunier Bérenger pour s'être opposé à l'utilisation de ce cellier[23]. Il semble que cette situation perdurait encore vers la fin du XIIIe siècle. En 1280 lors du serment à l'évêque Bérenger de Boussagues, il est encore question des coseigneurs de Clermont pour la remise des clefs du château de Mourèze[24]. D'après Albert Fabre, les rois de Majorque avaient gardé une partie des hommages du château de Clermont. En 1348, à l'occasion d'une transaction entre le pape Clément VI et le roi Philippe de Valois, passée à Avignon, le roi Jacques céda à Arnaud de Roquefeuil les baronnies du Pouget, Vendémian, Saint-Bauzille, avec dix hommages dont les principaux étaient Clermont, Popian, Montarnaud et Tressan [25].

Aux XVIIe siècle, l'évêque de Lodève, Plantavit de la Pauze, raconte ainsi l'Hommage rendu par Bérenger de Clermont à l'évêque Guillaume de Mandagot en 1316: Monseigneur l'évêque, en recevant le château avec la famille du seigneur, sa femme, ses enfants, ses serviteurs, ayant fait le tour dudit château, est entré dans les parties inférieures et supérieures avec la famille, et il a ordonné d'en fermer les issues. Ensuite, on a élevé son étendard et son écu sur plusieurs endroits autour dudit château; on a crié souvent à haute voix: Clermont, Clermont, pour le seigneur évêque et pour saint Genès !- Cela fait, l'évêque a rendu le château et les clefs au noble seigneur, lequel reconnaissant que le roi Philippe avait donné à Pierre, évêque de Lodève et à ses successeurs, tous les droits régaliens du lodévois.... [26] Cette fois-ci, il n'est plus fait mention de coseigneurie. Les Guillem de Clermont sont désormais les seuls maîtres du château.

Pour conclure, on remarquera que dans les relations féodales entre les évêques de Lodève et leurs châtelains, lors de l'inféodation des châteaux, la prestation du serment de fidélité est accompagnée du rite de l'Hommage. Ce rituel bien rôdé est le résultat d'une politique systématique des évêques qui l'emploi comme signe et moyen de centralisation du pouvoir. Malgré la résistance de certains de leurs vassaux, les Clermont notamment, à partir du XIIIe siècle et jusqu'à la tourmente révolutionnaire les évêques seront définitivement les seuls suzerains dans l'étendue de leur diocèse, sous la protection éminente des rois de France.

Francis moreau
2016

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Bibliographie


Combarnous Gaston : Les Châteaux des Guillem et de Clermont , Maury, Millau 1978
Durand (Abbé) : Histoire de la Ville de Clermont L'hérault et de ses environs, Montpellier, 1837
Fleury-Geniez A.-P. : Histoire Populaire de la Ville de Clermont l'Hérault , Firmin et Cabirou, Montpellier, 1885
Huppé Philippe : Les Seigneurs de Clermont-Lodève , tomes 1 et 2, Les Presses Littéraires, 2007
Martin Ernest : Chronique et Généalogie des Guillem Seigneurs de Clermont , Marseille, 1892

Notes :


[1] Cérémonie au cours de laquelle le vassal se place sous la protection d'un suzerain moyennant un engagement de fidélité.
[2] Liber Instrumentorum Memorialum (Cartulaire des Guillem de Montpellier), impr.Jean Martel, Montpellier, 1884-1886, LXVI pp.116-119; LXVII pp.122-123.
[3] Liber Instr. DXL, page 722.
[4] Liber Instr. DXXXIV,DXXXV,DXXXVI,DXXXVII, pages 713 à 717. En s'appuyant sur plusieurs chartes du cartulaire de l'abbaye d'Aniane, Gaston Combarnous (p.72) croit pouvoir affirmer que les Montpeyroux, les Vailhauquès et les Clermont étaient parents: "Ego Raimundus Guillermus de Montepetroso, et ego Agnes, uxor illius, et ego Willermus, et ego Raimundus, et ego Berengarius, filii eorum..." (Cart.Aniane p.272); " "ego Berengarius de Vallauches.... S.Willermi filii sui..." (cart.Aniane p. 198). Le prénom "Guillaume ou Guillem" était très employé aux XIIe-XIIIe siècles, il n'occupe pas moins de 6 pages à lui seul dans l'index des noms propres du cartulaire. Peut-on évoquer un "effet de mode", à une époque ou le choix des prénoms était restreint?
[5] Liber Instr. DXXXVIII, DXXXIX, pages 719-721.
[6] Devic et Vaissette, Histoire Générale de Languedoc,Privat,Toulouse, 1879, Tome 6, page 47.
[7] H.G.L., Tome 6, page 66.
[8] H.G.L., Tome 6, pages 277, 379, 402.
[9] Ernest Martin, Cartulaire de la Ville de Lodève, Montpellier, XXVII,XXVIII, pages 28-29. En se fondant sur le récit de l'abbé Julien dans son "Histoire Chronologique des Comtes de Clermont-Lodève", plusieurs auteurs ont décrit deux guerres entre les comtes de Rodez et les évêques de Lodève au cours du XIIe siècle. Ces guerres n'ont pas existé telles qu'elles se trouvent être relatées. Elles ne sont décrites ni par Plantavit, ni dans la Gallia. Il s'agit d'une interprétation des relations mouvementées entre le suzerain en titre (le comte de Rodez) et son vassal (l'évêque de Lodève). Les faits se sont déroulés sous les épiscopats de Pierre de Posquières et de Gaucelin de Montpeyroux. Pour le premier il est dit, par Plantavit, que par lui Lodève fut délivré du joug et de la servitude des comtes de Rodez "sub ipso et per ipsum Lodova a jugo et servitute Ruthenensium erepta est". Quant à Gaucelin il est seulement demandé qu'il ne soit point molesté "de non molestando Gaucelino". En ce qui concerne les accords de 1167 et 1174, (cartulaire de la ville de Lodève, doc.XXV et XXVI, page 28), rien n'indique qu'ils soient le résultat d'une "guerre" entre les deux partis, mais qu'ils résultent plutôt d'un conflit plus ou moins brutal comme il en existait à l'époque:"Qod ipse Ugo nullo modo molestaret predictos, sive armis, sive in foro contentioso"; "Gaucelinus Lodove confessus est quod Richardus Ruthenensis habebat sex menses in turri de Montebruno, et dictus Richardus confessus est quod dominus episcopus habebat alios sex." Voir Chronologia Præsulum Lodovensium, pages 86-93. Sur "l'Histoire Chronologique qui ne doit être consultée qu'avec prudence", voir Ernest Martin, Chronique et Généalogie des Guillem, note II, pages 107 à 110.
[10] Cartulaire de Lodève, XXXI, page 32.
[11] Pedro Manrique de Lara. Cartulaire de Lodève, XXXII, page 32.
[12] H.G.L., Tome 6, pages 451-454.
[13] Bibliothèque de l'École des Chartes, tome XXVII, année 1876, pages 385.
[14] Aimeri de Clermont, seigneur de Montpeyroux et du Bosc. Bibliothèque de l'École des Chartes, tome XXVII, année 1876, pages 383-386.
[15] H.G.L., Tome 8, c.790.
[16] Le futur Raimond VII. H.G.L., Tome 8, c.698.
[17] A. Lecoy de La Marche, Les Relations Politiques de la France avec le Royaume de Majorque, Tome 1, Ernest Leroux, Paris, 1892, page 403.
[18] Plantavit de la Pauze, Chronologia Præsulum Lodovensium, Aramon, 1634, page 150.
[19] Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, Tome LXIV, année 2004, "Deux inscriptions du cloître de l'ancienne maison de l'Hôpital Saint-Jean de Jérusalem à Toulouse (XIIIe siècle)", par Patrice Cabau, Laurent Macé, Dominique Watin-Grandchamp, pages 100 à 106. Chronologia Præsulum, page 150. H.G.L. Tome 6, page 712.
[20] Jacques de Pecoraria (1170-1244), cistercien, évêque de Palestrina (1231), Légat en France en 1239-1240. Chronologia Præsulum, Pages 150-151. Bulletin Philologique et Historique du Comité des travaux Historiques et Scientifiques, années 1955 et 1956, Paris, Presse Universitaire de France, 1957, "La Légation manquée du Cardinal de Palestrina", par Yves Dossat, pages 35-46.
[21] Charente-Maritime. H.G.L., Tome 6, pages 741-742.
[22] H.G.L., Tome 6, page 744; Tome 8, doc.CCXLVI, cc.1090-1091.
[23] Chronologia Præsulum, page 180.
[24] Chronologia Præsulum, pages 218-219."ipse de Claro-Monte illud prius acciperet a condominis suis".
[25] Albert Fabre, "Histoire de Montpellier", page 79.
[26] Chronologia Præsulum, pages 272-276. Pour le rituel voir aussi la reconnaissance de Tristan de Clermont du 13 octobre 1495, copie conservée aux archives du presbytère Saint-Fulcran de Lodève. A noter que les seigneurs de Clermont ont pu porter le titre de "Baron", leur fief étant "noble, franc et honoré". Dans le texte de 1215 le terme apparaît plutôt comme un générique: "et omnibus aliis tam baronibus quam militibus et clericis in Lodovensi episcopatu..." (École des chartes, p.385). Quant au titre de "Comte de Clermont" il est apparu en 1627 avec Gabriel Aldonce. Voir Gaston Combarnous, Les Châteaux des Guillem et de Clermont, page 37.