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Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

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L'Hôtel de Fleury, Une ambition lodévoise

 

Dans les murs de l’ancien Hôtel du cardinal de Fleury, le Musée de Lodève (Musée Fleury) est inauguré le 10 juillet 1987. De 1973, date à laquelle quelques salles sont ouvertes pour présenter les œuvres du sculpteur Paul Dardé, jusqu'à 2018 où après quatre ans de travaux, le nouveau Musée (Musée de Lodève) a réouvert ses portes. L'Hôtel de Fleury est devenu une étape incontournable du parcours historique et touristique de la ville de Lodève. Mais que sait-on de l'histoire de cet immeuble prestigieux et de ses occupants au fil des siècles ? [1]

Pierre Fleury (XVIIe siècle)

C'est en 1607 que Pierre Fleury, le grand-père du cardinal de Fleury, ministre de Louis XV , acquiert ce qui est alors le vieil hostal de Rosset, propriété de son beau-frère Thomas de Rosset [2]. Les Rosset et les Fleury descendent des premiers drapiers de Lodève. La prospérité du diocèse était alors, pour l'essentiel, basée sur la manufacture des draps. Soucieux de conforter sa puissance économique par l'élévation de son rang social, le marchand Pierre Fleury avait acquis les charges de receveur des décimes (1596) et des tailles du diocèse (1607) ainsi que celle du greffe de la ville et viguerie de Gignac. Plus tard, devenu Trésorier Général en la Généralité de Montpellier, il conforte sa noblesse toute récente avec les seigneuries de Dio, Valquières et Vernazoubres (1630) [3]. La famille « de Fleury » entrait donc désormais de plain-pied dans cette petite noblesse marchande qui abondait dans le Languedoc. Jean de Fleury, le fils cadet, hérite de la maison paternelle en 1642. C'est là que naîtra le futur cardinal-ministre, André-Hercule, le 22 juin 1653 [4].

Cour caladée de l'hôtel de Fleury
Cour caladée de l'hôtel du cardinal de Fleury, crédit photo : Musée de Lodève.

En 1677, Jean de Fleury, le père du cardinal, achète un jardin voisin et son porche, afin d'agrandir sa maison et la transformer véritablement en instrument du « paraître » [5]. Le vieil hostal devient alors cette majestueuse demeure, avec cour intérieure, jardin et fontaine qui constituaient l'Hôtel de Fleury avant les transformations malheureuses du XXIe siècle.

André-Hercule de Fleury (1653-1743)

C'est donc dans cette vaste demeure sise dans la rue Notre-Dame (rue Fleury) que naît le futur cardinal. Il sera nommé au poste de précepteur du jeune Louis XV en 1716. Fleury choisit d'excellents professeurs et Louis XV lui voue un attachement profond. Dix années plus tard, le précepteur du roi devient Ministre d'État, Principal ministre dans les faits. Depuis Paris, il veille sur sa ville natale en lui accordant l'exclusivité de la fabrication des draps pour les troupes royales (1729). Il y fait établir un grenier à sel (1729), et il offre un nouvel autel à sa cathédrale (1735).

Barthélémy Bernard Louis Luchaire (1764-1823)

Escalier de l'Hôtel de Fleury
Escalier de l'Hôtel de Fleury, crédit photo : Frédéric Trobrillant.

L'Hôtel de Fleury restera dans la famille éponyme jusqu'à l'aube du XVIIIe siècle. Après 1696, c'est un marchand-fabricant de draps, Jacques Luchaire, qui prend possession des lieux [6]. Les Luchaire y seront encore en 1781. A cette date, ils sont la propriété de Barthélémy Luchaire, gros négociant de la ville de Lodève.

Barthélémy Luchaire est un jacobin bon teint, issu des élites éclairées de sa ville. Par sa mère (Marie Senard Paquier), Luchaire est lié à des notabilités montpelliéraines, soulignant les relations étroites entre sa ville natale manufacturière, et le chef-lieu, centre financier et culturel. Sur les conseils de l'un de ses cousins, Auguste Broussonnet, professeur à la faculté de médecine, membre de l’Académie des Sciences, Barthélémy expérimente de nouvelles productions afin d’améliorer l’approvisionnement de ses concitoyens en l’an II. Il implante ainsi la culture de pommes de terre sur ses propriétés. Par son mariage avec Justine Fabreguettes, il s’allie à l’une des plus puissantes familles de fabricants de draps de la région [7]. L'argent ignorant les régimes politiques, Barthélémy devient, sous la Restauration, fournisseur officiel des draps pour l'Armée. Sa fortune est conséquente. Il est propriétaire, depuis 1789, du domaine de Montplaisir, sans doute plus adapté au goût de l'époque pour la nature champêtre, que l'austère Hôtel de Fleury enserré dans le réseau des rues étroites de la cité. A cette date il vend donc l'immeuble des anciens Fleury à Gilles Arrazat, un marchand-fabricant de draps qui opère également à Toulouse où il séjourne volontiers. Barthélémy Luchaire sera représentant de l'Hérault à la chambre des cent-jours, du 15 mai au 13 juillet 1815.

Gilles Arrazat (1763-1826)

Gilles Arrazat, né en 1763, est lui aussi issu d'une famille de négociants en draps. Son grand-père, Laurent Faulquier, est propriétaire de l'immeuble jouxtant celui des Luchaire. Sa marraine, Elisabeth Arrazat, avait épousé le docteur Chassanis.

Son oncle, Gilles Arrazat [8], était professeur royal de médecine à la faculté de Toulouse. Docteur de la faculté de Montpellier, agrégé de la faculté de Toulouse en 1760, en 1770 il fut nommé par les capitouls médecin des prisons. Il 1773 il devait fonder une cinquième chaire d'enseignement au sein de la faculté. Jusqu'à la Révolution il conserva sa chaire et son enseignement était des plus suivis. Gilles Arrazat, avait été appuyé dans ses études par son beau-frère, le docteur Chassanis [9], médecin de l'Hôpital et de l'œuvre de la Miséricorde de Lodève favorisée par Mgr de Fumel. En 1753 Chassanis avait publié une « Dissertation sur la maladie épidémique qui a régné à Lodève en 1751 ». S'apitoyant sur les pauvres de Lodève, il y souligne la malpropreté de leurs maisons, l'impureté de l'air qu'ils y respirent, soit par le défaut des commodités ou par la saleté et les mauvaises odeurs des laines qu'ils y travaillent.

Gilles Arrazat, le neveu, devait être à plusieurs reprises membre du conseil de la commune de Lodève entre 1799 et 1807. En 1814 il hébergea chez lui (Hôtel de Fleury) le cardinal Galleffi (1770-1837), un des douze cardinaux noirs mis en résidence surveillée par l'empereur Napoléon Ier. Ils étaient exilés à Paris depuis l'entrée des Français à Rome, en 1808, et l'incorporation des États pontificaux à l' Empire français. Le 2 avril 1810, ils avaient refusé d'assister au mariage de Napoléon avec Marie-Louise. Chassés de Fontainebleau en janvier 1814, les cardinaux noirs furent dirigés, sous escorte militaire, dans les lieux de résidence préalablement désignés pour chacun d'entre eux. C'est dans ces conditions que le cardinal Galleffi arriva à Lodève dans la première quinzaine de février et trouva à s'installer à l'Hôtel de Fleury, chez Gilles Arrazat. Il fut libéré en Avril 1814, après l'abdication de l'Empereur [10]. Gilles Arrazat devait décéder en 1826 [11], et sa fille, Émilie, qui résidait à Toulouse, loua l'immeuble au Bureau de Bienfaisance.

Un Collège de Jeunes Filles (1834-1966)

Hôtel de Fleury, collège des filles
Le collège des filles, Carte postale, crédit : Aux pays de mes ancêtres.

Jusqu’à la Révolution, l’Église catholique avait en charge l’action en faveur des plus démunis, par l’intermédiaire du clergé et des ordres religieux. Même dans les campagnes les plus reculées on trouve encore trace des caritat, les œuvres de charité. Apparaît alors, sous l’influence des philosophes des lumières, l’idée selon laquelle l’assistance est un devoir de l’État et un droit pour le citoyen. En 1796, le Directoire va créer les premiers établissements publics de secours: les bureaux de bienfaisance. Ce sont des services communaux placés sous l’autorité préfectorale et souvent tenus par des religieuses. Les sœurs de la Charité de Nevers, avaient été autrefois appelées par Mgr de Phélypeaux , pour tenir la maison de la Miséricorde, sise rue Cavalerie depuis 1784 [12]. En 1801, le Bureau de Bienfaisance, géré par la commune, avait fait appel aux mêmes sœurs de Nevers pour tenir leur établissement charitable et ouvrir une école pour les jeunes filles pauvres dans l'immeuble Faulquier. Après une période de location entre 1826 et 1834, Mlle Émilie Arrazat vendit l'ancien immeuble Fleury au Bureau de Bienfaisance [13] et les sœurs purent ainsi réunir les immeubles Faulquier et Fleury au bénéfice de leur collège de jeunes filles. En 1893, un conflit étant survenu entre les Dames de Nevers et le Bureau de Bienfaisance [14], elles firent une proposition d'achat des immeubles Fleury et Faulquier [15]. Bien qu'agréée par les autorités municipales, la transaction ne put se réaliser en raison de l'opposition du Sous-Préfet. Sur décision préfectorale et en vertu des lois de laïcisation du personnel enseignant, les sœurs de Nevers durent quitter leur établissement le 1er août 1903. Le Bureau de Bienfaisance (appelé ensuite Bureau d'Aide Sociale) accepta de louer les locaux vacants à la commune de Lodève pour y établir un collège laïque de jeunes filles [16]. Ce collège ouvrit ses portes en octobre 1903 et l'internat perdurera jusqu'au milieu des années mil neuf cent soixante [17].

Le Musée Dardé (1973-1987)

C'est en 1973 [18] que l'immeuble Fleury, désormais propriété communale, est aménagé pour y recevoir la collection des œuvres du sculpteur Paul Dardé (1888-1963). Cette collection regroupe près de deux mille huit cents dessins et cinq cent soixante sept sculptures de Paul Dardé faisant de cette institution un lieu de référence pour l'œuvre de cet artiste.

Le Musée de Lodève (1987)

Depuis 1987, le Musée Fleury constitue un des éléments majeurs de la politique culturelle forte initiée par la Ville en 1995. Dans l’objectif de pérenniser et de développer la dynamique, l’envergure et l’attrait du musée, la Communauté de Communes Lodévois et Larzac, qui en a aujourd’hui la gestion, a engagé entre 2014 et 2018 un important chantier de rénovation et d’extension. Le projet a consisté en un doublement des surfaces, rendu possible grâce à l’acquisition de l'ancien hôtel particulier mitoyen (hôtel Faulquier). Le nouveau musée de Lodève a été inauguré le 7 juillet 2018.

Splendeur et décadence

De l'Hôtel de Fleury du XVIIe siècle, il ne reste guère qu'un escalier à balustres en pierre et un petit salon, au rez-de-chaussée, décoré de gypserie. Le portail d'entrée sur la rue a encore fière allure, ainsi que la cour pavée. Le parc abondamment fleuri et ombragé n'existe plus. La fontaine a été rejetée sur un des côtés du bâtiment. La petite chapelle romantique édifiée en 1843 a été démolie. La destinée de l'Hôtel Fleury, pourtant privilégié puisqu'il est devenu un musée, a été celle de la plupart des demeures particulières de la ville de Lodéve, le plus souvent partagées en de multiples lots.

Au gré des époques et des évolutions économiques, les demeures particulières se sont transformées, réinventant à chaque fois des usages nouveaux, plus adaptés aux besoins et aux mœurs de leurs propriétaires.

Francis Moreau
2020

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Notes :


[1] L’hôtel est la demeure urbaine d’une élite, qu’elle soit aristocratique ou financière, où réside une famille, éventuellement sa parentèle, et de nombreux domestiques, car il n’y a pas d’hôtel sans service. Ouverte sur la rue par de fastueux portails aux armes des propriétaires, la demeure s’organise autour d’une cour régulière et pavée, lieu de réception et de service. Tout autour, les logis en pierre de taille, peu élevés (un seul étage la plupart du temps) et aux façades soignées, composent un ensemble qui renvoie une image de richesse ou d’élégance, immédiatement perceptible pour le visiteur. Le jardin lui-même constitue un monde en soi. Très soigné, il forme un ensemble homogène, qui peut comporter, en plus des parterres, des bassins et autres fontaines, des bosquets, des édicules qui ponctuent sa visite (orangerie, trianons, etc.) et des statues. (Présentation générale de l'exposition "L'Hôtel Particulier, Une ambition parisienne", Palais de Chaillot, octobre 2011- février 2012).
[2] Compoix de Lodève 1589-1613, f°498.Alexandre Vitalis,"Fleury.Les origines-la jeunesse",in:Annales du Midi: revue archéologique, historique et philosophique de la France méridionale, tome 18, n°69, 1906,pp.45-46.
[3] Charles Bonami,"A propos de la famille du cardinal de Fleury", in Bulletin de la Société Archéologique scientifique et littéraire de Béziers (hérault), cinquième série, volume VII, 1970,P.40.
[4] Registres BMS de Lodève 1643-1673.
[5] Usuel du compoix de Lodève de 1672, vol.1, f°324.
[6] Usuel du compoix de Lodève de 1696, vol.2, f°125.
[7] ALZAS, Nathalie. Les « factieux de Lodève » : développement et déclin d’un réseau jacobin héraultais In : Réseaux politiques et économiques. Paris : Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2016.
[8] Jules Barbot,"Les chroniques de la Faculté de médecine de Toulouse, du treizième au vingtième siècle,tome 1, Toulouse 1905, pp.272-273. Le docteur Gilles Arrazat est baptisé à Lodève le 2 mai 1729.
[9] Jean Joseph Chassanis (1719-1758), "Dissertation sur la maladie épidémique qui a régné à Lodève, et autres villes du royaume, en 1751; par M.Jean Joseph Chassanis, conseiller et médecin du roi, docteur en l'université de médecine de Montpellier, et médecin de l'Hôpital et de la Miséricorde de la ville de Lodève", Avignon, 1753.
[10] Abbé Granier, "Le pape Pie VII et les Cardinaux Noirs dans le diocèse de Montpellier", Montpellier, librairie Louis Valat, 1914.Voir article "Un cardinal noir à Lodève" sur ce site.
[11] ADH, Bureau de Lodève, Table des successions et absences 1821-1829, f°3. Pour son action au sein de la municipalité voir les délibérations communales des 28 messidor an 8, 4 messidor an 10, 1er mai 1807, 30 juillet 1807. Serment à l'empereur, le 2 messidor an 13.
[12] Historique dans la délibération municipale du 27 mai 1834. Ernest Martin, Cartulaire de Lodève, doc.CCXCII, p.448.
[13] Délibération municipale du 27 mai 1834.
[14] Délibération municipale du 13 décembre 1893.
[15] Délibération municipale du 19 octobre 1894 et du 6 septembre 1907.
[16] Délibération municipale du 10 juillet 1903.
[17] Délibérations municipales des 1erjuillet 1960 (décision d'abandon), 1er juillet1961 (renouvellement de bail), 6 décembre 1963 (renouvellement de bail).
[18] Délibération municipale du 18 février 1972 et du 26 juin 1973.