logo

Francis Moreau

Présentation de travaux de recherches historiques et généalogiques

L'ensemble des textes publiés sur ce site sont, hors citations et images, disponibles sous licence :
Creative Commons BY-ND 4.0




Guillaume du Lac, l'évêque oublié !

 

De 1392 à 1398, c'est-à-dire entre les épiscopats de Clément de Grammont et Jean Lavernhe, les historiens lodévois sont perplexes quant au nom de l'occupant du siège de Lodève. Dans La France Pontificale, Honoré Fisquet, qui reprend l'Histoire Générale du Languedoc, [1] nomme Guillaume de Grimoard de Beauvoir. Il précise que c'est un neveu du pape Urbain V. Grand seigneur, celui-ci n'aurait pris possession que par procureur et n'aurait jamais quitté la cour pontificale d'Avignon. Un peu plus tard, Ernest Martin, dans l'Histoire de la Ville de Lodève, préfère nommer Guillaume Gayrard, sans certitude pourtant : le Guillaume titulaire de 1392 à 1398, écrit-il, doit rester sans nom patronymique certain. [2]

En 1975, l'Abbé Gérard Alzieu, dans l'annexe 1 à son article Le Diocèse de Lodève et ses évêques publié dans le livre du millénaire de saint Fulcran , Lodève Saint-Fulcran , se contente d'un seul point d'interrogation : Guillaume Gayrard ? [3]

Une affaire d'initiales

C'est l'historien Jean Favier qui découvre la similitude troublante entre les signatures du supposé Guillaume Gayrard et un clerc de la Chambre Apostolique d'Avignon. Tous les deux ont en effet le même seing manuel : les deux lettres G.L. A quelques années d'intervalles, les mêmes initiales sont au bas de deux documents : l'un de 1390 et l'autre de 1395. Elles ne peuvent donc appartenir qu'à la même personne. Et cette personne ne pouvant signer Guillermus Lodovensis avant son intronisation comme évêque, Jean Favier en conclu qu'il s'agit dans les deux cas du clerc apostolique Guillermus de Lacu.

La carrière de Guillaume du Lac s'inscrit d'ailleurs en filigrane derrière celle de l'évêque de Lodève. Ernest Martin dit de Guillaume Gayrard qu'il fût Prévôt du Chapitre de Genève. En effet, Guillaume du Lac a bien été Prévôt du Chapitre de Genève. Et l'évêque de Lodève signe en 1395 : Aprobo ego G.L. episcopus Lodovensis, camere apostolice conciliarus. (Approuvé par moi, Guillaume du Lac, évêque de Lodève, conseiller de la chambre apostolique). [4]

Il ne fait donc aucun doute que le clerc apostolique et l'évêque ne font qu'un, et qu'il s'agit de Guillaume du Lac.

Le trésor pontifical

Guillaume du Lac naît vers 1340 aux environs de Vézins (Aveyron), probablement dans la paroisse de Saint-Amans-du-Ram. Son père est peut-être Alquier du Lac, damoiseau et seigneur de Pradels. Ce personnage est plusieurs fois cité en 1327-1330, dans le chartrier du château de Vézins. Il était aussi possesseur de rentes et de censives au lieu de Roucous où il partageait la coseigneurie avec Jean de Creyssels. En 1376, sont cités Guillaume du Lac et Flore de Mirandols son épouse. En 1466, Jean Unal, du Mas du Lac, est témoin d'un acte de la commanderie Hospitalière de La Clau. [5]

D'abord clerc puis chanoine de l'église de Rodez, Guillaume du Lac entreprend de solides études juridiques et devient licencié ès lois. Remarqué par la chancellerie pontificale, qui recherche des juristes confirmés, il est nommé à la Chambre apostolique et on lui confie la tâche de Collecteur Pontifical. La mission des collecteurs était de drainer l'argent de la chrétienté vers les caisses du Saint-Siège, fonction réservée à des experts dans le maniement de l'argent et les formalités de change.

A cette époque, la papauté ne cesse de développer la fiscalité exigée par ses guerres. Une partie des taxes étaient réglées directement au Saint-Siège par les assujettis (prélats, clercs, bénéficiers divers). Mais une autre partie était levée directement auprès des contribuables, par les collecteurs. Il s'agissait d'abord des décimes , c'est-à-dire le dixième des revenus nets du temporel d'un bénéfice ecclésiastique, ainsi que les subsides caritatifs, contributions exceptionnelles pour les cas d'urgence. Les décimes étaient destinées à lutter contre les bandes qui désolaient les Etats-Pontificaux. Puis il y avait les annates, taxes sur les Bénéfices ayant été pourvus, environ 1/3 des revenus des trois premières années, après déduction des frais de gestion et des charges. Mais les collecteurs étaient aussi habilités à se saisir de l'héritage d'un clerc défunt. Les papes percevaient également les revenus des Bénéfices vacants. Les dettes restant attachées aux Bénéfices, les héritiers ou le successeur étaient considérés comme responsables et solidaires des dettes du bénéficier défunt. Il y avait aussi les procurations , c'est-à-dire les droits versés par les paroisses ou les abbayes, lors des visites canoniques des évêques. Afin de réduire cette fiscalité parfois excessive, de nombreux Bénéfices restaient vacants et parfois même les visites canoniques cessèrent complètement. Les conséquences financières et morales de cet état de choses suscitèrent de graves malaises dans la chrétienté et furent la cause de plusieurs révoltes des contribuables. Il en résultait une perpétuelle pénurie du trésor pontifical.

Collecteur apostolique

En juillet 1369, Urbain V nomme Guillaume du Lac, Collecteur en Allemagne. [6] La mission s'avère délicate dans un pays ou l'on se souvient encore de la révolte générale de 1367 contre les agents du fisc pontifical. Cette année là, les diocèses de Mayence, Trèves et Cologne avaient pris la tête de la résistance aux exigences du Collecteur Bertrand du Mazel, avant d'être suivis par tout le pays. [7] Mais Guillaume du Lac s'acquitta honorablement de sa tâche et fut envoyé une seconde fois à Trèves et en Allemagne en 1371. En récompense de ses services, il devient chanoine de la collégiale Saint-Martin de Münster. Il résilie sa charge peu de temps après, pour devenir chanoine de la collégiale Sainte-Marie ad Gradus de Cologne. [8] Il permute ensuite pour devenir Prévôt du Chapitre Cathédral de Genève. Il devra délaisser cette troisième dignité en 1382 pour se consacrer à sa tâche de Clerc de la Chambre Apostolique, très proche assistant du chef de la Chambre, le Camérier.

En 1373, il est chargé de recevoir les impositions des provinces de Lyon, Vienne, Besançon et Tarentaise. Il restera dans ce poste plusieurs années, puisque ses exigences suscitent une vive opposition, de la part des Hospitaliers de Saint-Jean et de l'évêque de Maguelone, en 1377. [9] Il est toujours en activité dans les mêmes provinces, lorsqu'il doit abandonner son canonicat de Genève en 1382. Il demeurera à Lyon jusqu'en 1386.

Après la mort de Grégoire XI (1378), il rallie l'antipape d'Avignon Clément VII. En 1379 il est témoin du Testament de l'évêque de Montauban, Pierre de Chalais. [10] En 1385, Clément VII lui confie la tâche de régler les différents qui se sont élevés entre le chapitre et l'évêché de Vienne. [11]

La tâche du Collecteur n'est pas une sinécure. Le clergé se montre récalcitrant. Il est souvent en déplacement sur des chemins peu sûrs. En cette période d'anarchie générale, les chevauchées sur les routes offrent une perspective peu rassurante. Le risque est grand d'être dévalisé et même d'y laisser la vie.

Evêque de Lodève

En récompense de ses services, il reçoit l'évêché de Lodève en 1392. Il succède à Clément de Grammont, qui était également Auditeur de la Chambre Apostolique. Guillaume du Lac a sans doute résidé plus souvent à Avignon qu'à Lodève où il semble avoir gouverné par l'intermédiaire d'un procureur. En 1393, son viguier autorise les habitants à se réunir pour nommer des Conseillers. [12] C'était une confirmation de l'usage introduit en 1347 par Hugues de Nesle, viguier de l'évêque Bertrand du Mas. Il meurt en 1398. Dans son testament il fait un legs de trois messes chantées perpétuelles à l'église de Saint-Amans du Ram. [13]

Francis Moreau
2011

Sommaire général - Retour en haut de page

Bibliographie


Louis Binz : Vie Religieuse et Réforme Ecclésiastique dans le diocèse de Genève, tome 1, Librairie Droz
Henri Bousquet : Archives Historiques du Rouergue, Inventaire des Archives du château de Vézins 3 vol., Rodez 1934-1942
Jean Chélini : Histoire Religieuse de l'Occident Médiéval, Hachette 1991
Collectif : Annales de Bourgogne, Année 1992, vol. 64/1 et 65/3
Collectif : Un diocèse Languedocien : Lodève Saint-Fulcran, Millau 1975
Mathieu Desachy : Cité des Hommes, le chapitre cathédral de Rodez, 1215-1562, Editions du Rouergue 2005
Devic et Vaissette : Histoire Générale du Languedoc, édit. du Mège 1844
Jean Favier : Les Finances Pontificales à l'époque du grand schisme d'Occident 1378-1409, Ed. de Boccard 1966
Honoré Fisquet : La France Pontificale, Paris
Gallia : Gallia Christiana, Archiepiscopum, Episcopum et Abbatum Franciæ, tome III, Paris M DC LVI
Jean Glénisson : Un agent de la Chambre Apostolique au XIVe siècle, les missions de Bertrand du Mazel, Mélanges d'Archéologie et d'Histoire, volume 59, année 1947
Ernest Martin : Cartulaire de la ville de Lodève, Montpellier 1920
Ernest Martin : Histoire de la Ville de Lodève, 2 tomes, Montpellier 1900
Jean de Plantavit de la Pauze : Chronologia Praesulum Lodovensium, Aramon 1634

Notes :


[1] HGL, Tome 8, livre XXXVIII, page 305.
[2] Tome 1, page 359, noter la confusion évidente avec l'évêque Bérenger Guirard (1285-1291); voir Tome 1, page 347 et Plantavit p. 242 : Berengarius Gerardi, fondateur de quatre chapellenies dans l'église du monastère de Gorjan. Voir aux archives de l'Hérault les actes du notaire Bernard Gay (1462-1463) 2E39/32. Il y est fait mention de Guillelmi Gayrardi dans deux actes (f° vi et x), l'erreur du notaire vient d'une confusion dans ses sources qui sont l'Etat des Eglises du diocèse et la Catalogue des évêques, de Bernard Gui.
[3] page 86.
[4] Les Finances Pontificales, page 73.
[5] Archives du château de Vézins, vol.13 pp.222-223 et vol 12, pp.198-388.
[6] Guillermo de Lacu, canonico Ruthenensi, licentatio in legibus, apostolice sedis nuntio, ad Alamanie...Lettre d'Urbain V, 21 juillet 1369.
[7] Glénisson, Un agent de la chambre apostolique, pp. 89-119. Bertrand du Mazel était aussi chanoine de Lodève.
[8] St Martini monasteriensium ecclesiarum, vacantes per resignationem a Guillermo de Lacu in manibus Petri, archiepiscopi Bituricensis, camerarii pape, apud Sedem apostolicam factam causa permutationis cum canonicatu et prebenda ecclesiae Beate Marie ad Gradus Colonienses, simili modo a discto Hermano resignatis...Lettres de Grégoire XI, 1371-1378.
[9] L'évêque de Maguelone lui interdit d'exiger des Hospitaliers les droits de procuration et de visite, et ce sur plainte des Grands Prieurs de Champagne et d'Auvergne, Archives Départementales du Rhône, Ordre de Malte, H1 à H702.
[10] Gallia, tome III, pp. 749 à 753.
[11] Histoire de la Sainte Eglise de Vienne, page 334.
[12] Cartulaire de la ville de Lodève, CXIV page 143.
[13] L'évêché de Lodève eut plusieurs titulaires Haut-fonctionnaires de la Cour Pontificale : outre Clément de Grammont cité plus haut (1385-1392), Pierre Girard (1382-1385) clerc de la Chambre, et Aimeric Hugues (1361-1370) qui était chapelain du Pape et Auditeur des Causes du Palais Apostolique (Tribunal de la Rote).